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Appel
Date limite de soumission : vendredi 28 avril 2023
La question « qu’est-ce qui fait pousser les plantes ? » entraîne rarement, en réponse, l’évocation des enzymes issus de l’hydratation de l’endosperme des semences sous l’action de la gibbérelline, ni celle des auxines, hormones de croissance qui régissent la pousse des tiges. On rappellera plutôt l’importance de l’eau et de la lumière, éléments premiers qui relèvent du cosmos davantage que du labo. Dans la pensée commune occidentale, que le XXIe siècle réactive, le végétal appartient à un registre de la nature auquel, sans bornage précis, se relient les espaces du sacré.
Ces relations fondatrices pour la compréhension humaine de la nature négligent l’inventivité propre du végétal, dans son propos permanent d’extension et de perpétuation.
Aussi tardif que modeste est « le geste auguste du semeur » au regard des centaines de millions d’années de coévolution : la dissémination et la croissance des plantes dépendent pour beaucoup d’acteurs non humains. Les fourmis déplacent et « sèment » des quantités de graines (certaines « cultivent » les champignons inférieurs dont elles s’alimentent, sur un compost de feuilles mâchées) ; oiseaux et mammifères les transportent dans les plumes ou les poils, en constituent parfois des réserves qui sont autant de « conservatoires », quand ils ne modifient pas les milieux par des actions physiques (labours des sangliers, favorables à certaines levées) ou chimiques : fumure azotée des abreuvoirs riverains, des sites où nichent les colonies aviaires.
En extrayant au printemps les glands alors germés de leurs cachettes, les geais, qu’intéressent seulement les réserves nutritives des cotylédons, brisent en partie les radicelles en développement ; il a été montré que ce stress favorise la production racinaire, que les jeunes sujets ainsi « conduits » ont de meilleures chances de grandir.
L’intervention animale ne concerne pas seulement les plantes sauvages : déjà attestée en Mésopotamie antique, toujours pratiquée en plusieurs régions du monde, la caprification consiste à suspendre des rameaux fructifiés de caprifiguiers (figuiers sauvages) dans les branches de certaines races cultivées incapables de mûrir leurs figues sans l’intervention du blastophage, la « guêpe du figuier ». L’insecte et l’arbuste sauvage vivent en symbiose : le premier pond et se développe exclusivement à l’intérieur des figues, celles-ci ne peuvent se développer sans la fécondation qu’il assure. Des races cultivées stériles ne mûrissent qu’après le stimulus au passage de la guêpe par « l’œil » du pseudo-fruit.
Quant aux alliances des racines avec le réseau mycélien du sol, liens qu’on explore attentivement depuis peu, ce sont des interrelations assimilables à des assistances mutuelles à la croissance et au maintien dans le et du milieu. D’un intérêt majeur dans la perspective de nouvelle gestion des cultures, et aussi des milieux naturels, ces symbioses, par assimilation aux échanges sociaux, nourrissent désormais un vaste imaginaire d’entente et de partage chez les humains. Les plantes (auxquelles les champignons ont cessé d’appartenir…) y gagnent énormément en exemplarité.
L’étude des discours, représentations, images, métaphores, etc., associés à ce processus d’émergence d’une nouvelle morale de la nature est au centre des interrogations du séminaire.
Qu’il s’agisse de la levée d’un hêtre ou d’un palmier, de la germination du sorgho des savanes ou du blé steppique, le fait de multiplication et de croissance des plantes s’est manifesté aux humains dès les toutes premières origines avec autant d’évidence que la floraison et la fructification. Mais connaître un phénomène ne signifie pas qu’on en comprenne les causes. Le monde ancien use de la nature dans la conscience permanente que des forces invisibles parrainent les métamorphoses, permettent aux humains d’en recevoir des bénéfices éventuels. Entre le semis ou la plantation et la récolte, il y a toujours l’intervention d’un ou d’une intermédiaire inconnaissable. Rituels et sacrifices remercient les puissances qui octroient le fruit ou le tubercule, celles qui enseigneront un jour à travailler le jardin ou le champ.
Les temps oublieux de toute reconnaissance, s’ils ont expliqué savamment les raisons de la germination et de la croissance, ont substitué aux étonnements quelque peu inquiets des recettes à produire dont il n’est pas sûr qu’elles soient plus intelligibles que les dévotions : quel agriculteur connaît les procédés d’obtention des semences hybrides, le mode d’action précis du Round Up, destructeur indirectement favorable à la croissance, la composition exacte du liquide qui, au verger, va bloquer la croissance des rameaux ? L’ancienne tutelle des dieux table toujours sur l’obéissance aveugle des dévots ; mais la crédulité a changé de nature.
Au XXIe siècle, la rencontre avec la plante comme être digne de respect, voire nanti de droits, exacerbe les paradoxes. Reconfigurée de fond en comble par la science (photosynthèse, capture du CO2, symbioses et communications, composés organiques volatils, etc.), la perception du végétal trouve de nouvelles expressions où le savoir savant rappelle moins les anciennes toutes-puissances qu’il ne soutient involontairement l’évolution des sensibilités, celles-ci parfois régressives. L’agriculture productiviste et la sylviculture monospécifique sont déclarées terricides en même temps que la permaculture s’efforce de faire oublier qu’elle ne remplace pas la pluie.
Impossible de recenser et décrypter les multiples expressions de l’attention à la levée et à la croissance des végétaux. Des plantes sauvages utiles dans les registres matériels et immatériels, aliments, remèdes, fleurs sacrées, etc., ont pu se voir « accompagnées », dans les milieux naturels, par les sociétés humaines préagricoles : les brûlis favorisent la croissance des ignames dans la forêt tropicale, en même temps qu’ils en facilitent la récolte ; certains y voient les prémices du jardin. Mais c’est surtout avec l’agriculture établie que se manifeste le souci de la bonne venue et de la croissance optimum du végétal. Cette attente suppose qu’on invoque et qu’on remercie.
Toutes les civilisations agraires vouent un culte aux divinités ou aux esprits tutélaires des céréales fondatrices. À la Déméter grecque, sœur de Zeus, marraine des blés et orges méditerranéens, répondent les Cintéotl et Chicomécoatl des Aztèques, divinités du maïs dont la célébration veut le sacrifice humain, ou encore Inari, dieu japonais dont le nom signifie « croissance du riz ». Dans plusieurs cultures asiatiques, le riz volé aux dieux est rapporté aux humains comme le feu par Prométhée. Pour des ethnies du Pacifique, les ancêtres résident dans les ignames cultivées, d’où le poids des alliances où l’on en échange les clones. Quant au monde chrétien, il plantera volontiers du buis ou de l’olivier béni aux quatre coins du champ — et ira, en catimini, faire l’amour dans les sillons pour inciter la Terre à des noces fertiles1.
« On ne tire pas sur une fleur pour la faire grandir », dit un proverbe africain. Oublieux du conseil, beaucoup cherchent encore à « sauter » la phase initiale du développement, évacuent la question du « faire pousser » pour aller d’emblée à la plante adulte ou à la production massive. Les jardineries vendent les pétunias ou les pélargoniums en vasques prêtes à suspendre. Quant aux oliviers, oubliés alors pour leurs fruits, c’est leur charge de temps (de siècles) qu’on achète. Les semences-artefacts d’origine hybride, si leur descendance dégénère, auront produit en une fois un tonnage fabuleux (jusqu’à 340 quintaux/ha chez le maïs).
À l’autre extrême, on collecte, multiplie et propage les « semences paysannes » ; et les glands des chênes sessiles méridionaux sont semés à Verdun dans l’espoir d’amorcer des lignées résistantes aux effets du réchauffement climatique2.
La germination et la croissance des plantes sont d’un temps étranger à celui des humains. Le persil, qui tarde à lever, est réputé rendre visite sept fois au diable avant de montrer sa première feuille3. La graine d’angélique devient stérile en quelques semaines. Le genêt à balais réapparaît de semence un siècle encore après la défriche. Un silène a pu germer après trente-deux-mille ans dans le permafrost sibérien4. Dans les régions tempérées, toutes les céréales et beaucoup de légumes sont des plantes annuelles qui restent en terre un an au plus. En même temps que les arbres (si possible) millénaires, désormais admirés et défendus, acquièrent un statut de grands ancêtres détenteurs de savoirs possiblement utiles aux sociétés piégées par leur propre impéritie.
Les humains exigent et simplifient à la fois. Le jardinier et l’agriculteur doivent disposer de semences fertiles, toutes ou presque aptes à la levée, et celle-ci réclame des soins attentifs. La part de hasard attachée à la réussite des graines sauvages est ici réduite au minimum. On a pris le contrepied de ce qui, dans les milieux naturels, est perçu comme quasi-fortuit. La mise en rang, au potager comme en forêt, facilite les tâches d’entretien et de récolte, montrant aussi que l’humain et son ordre emploient l’espace mieux que les tâtonnements sauvages.
Et puis le bouleversement du regard sur la nature réhabilite ce qui était perçu comme confusion. Permaculture et futaie jardinée valident les bienfaits du « désordre »5. Les agriculture, arboriculture et sylviculture, qui « faisaient pousser » les plantes comme on mène un troupeau docile, s’en remettent de plus en plus à l’ingéniosité propre du végétal, à ses facultés d’instaurer un partage aussi équilibré que durable entre l’organique et l’inorganique, entre les règnes, entre les siècles. La plante du XXIe est en passe de devenir une esclave affranchie.
C’est dans cet imbroglio des discours et des recours que se repose la question initiale : qu’est-ce qui fait encore, de nouveau, par science, par patience, par miracle, pousser les plantes ?
Que ce soit dans la conduite du jardin et du champ, voire celle du pot de fleur, « faire pousser » les plantes (cultivées) suppose l’emploi des engrais.
Enseigné aux sociétés forestières par les premières semi-cultures sur brûlis, le pouvoir fertilisant des cendres (potassium, phosphore, mais aussi calcium vite en excès), bien connu de l’Antiquité, préfigure la fumure minérale NPK qui s’est substituée aux engrais organiques à partir de la moitié du XIXe siècle. Après la 1ère Guerre Mondiale, le recyclage des nitrates de synthèse employés à la fabrication des explosifs a entraîné un bond de la production des engrais azotés, fait la fortune des firmes reconverties et de leurs actionnaires ; en même temps que régressait la fumure organique, elle-même apprise par l’observation de l’incidence des excrétions animales sur la croissance de la flore, sans doute dès les premiers temps de la sédentarisation. Tandis que, avec la crise écologique du XXIe siècle, dont l’agriculture industrielle est en partie responsable, on table sur des méthodes d’entretien, voire d’accroissement de la fertilité avec bien moins ou pas du tout de recours aux intrants.
Entre l’intervention forcenée de l’usine chimique et le “laisser faire la nature” du permaculteur, entre l’aspersion d’engrais liquide sur les céréales et le marc de café, dont, par similitude d’aspect avec le compost, on croit nourrir le Ficus benjamina, entre les préparations biodyamiques à la « bouse de corne » et la « ferme verticale » au soin des robots, les mises en œuvre, mais aussi les représentations, de ce qui favorise, hâte, dirige la croissance du végétal, sont multiples, évoluent à toute allure sous nos yeux. Elles restent à interroger indépendamment des aspects culturaux.
Depuis longtemps les plantes sont « conduites ». Le terme s’applique aux forêts, aux vergers, aux espaliers, aux jardins potagers ou floraux, etc., mais aussi bien à ces « riz sauvages » des marais nord-américains, liés en gerbes avant maturité et plus tard battus au-dessus des barques revenues dans les peuplements6.
Suite d’attentions entre semis et récolte, la conduite des plantes a longtemps privilégié, privilégie toujours le critère de productivité, qu’il s’agisse de bois, de fourrage, de fruits, de légumes, de fleurs, voire de l’herbe des gazons. Dans le cas des végétaux sauvages, elle intéresse non seulement les peuplements forestiers mais aussi les prairies de fauche et les pâtures, milieux naturels sous dépendance humaine forte, qui, délaissés, sont reconquis par les ligneux. De nos jours le terme peut s’appliquer aussi au suivi de certaines stations de médicinales menacées par des cueillettes excessives : grande gentiane, arnica, etc7.
Conduite encore, parfois pour le pire, la plante-simulacre des œuvres et des actes humains, ou passée de l’utile à l’esthétique. En taillant des massifs d’arbustes toujours verts, les « topiarii », jardiniers des Romains fortunés, sculptaient des monstres, des batailles navales ou des combats de gladiateurs. D’à peu près la même façon, on obtient des oliviers-caniches à plateaux étagés (taille japonaise niwaki, dite aussi « en nuage »), prisés des ronds-points méridionaux et des particuliers assez riches pour les payer des milliers d’euros pièce. Ils perpétuent sur un mode géant la pratique du bonzaï, contrainte miniaturisante où l’arbre, voire le bosquet, à force de restrictions nutritives et de tailles maniaques, survivent des décennies sur un guéridon.
Qu’est-ce qui incite à contrefaire le végétal ? L’envie de dominer la nature n’explique pas tout.
Les soins aux plantes cultivées vont du crachat dans le trou du plantoir jusqu’à la récolte mécanique ou manuelle, celle-ci valorisée aussi bien que la pizza au feu de bois. On pourra s’interroger sur ce qui répond à l’impératif de naturel, à l’obstination de l’artificiel, sur les investissements symboliques dans telle ou telle pratique ou préférence technique, alimentaire, militante, sur « avoir la main verte » (les pouces verts) ou pas, sur la culture clandestine du cannabis, caché entre les rangs de maïs, dans des clairières perdues, ou dans des sous-sols éclairés par des lampes que trahiront les émissions infrarouges, etc. — au risque de s’égarer parmi les multiples questions.
Mais où importe encore cette autre interrogation : qui conduit ? Tout le monde sait que, hormis sur le timbre éponyme de 1903, le geste auguste célébré par Hugo n’est pas celui d’une semeuse. Les rôles associés au semis et au suivi des plantes sont strictement distribués selon les genres, souvent encore. Même si, dans nos cultures, des déesses parrainent les plantes fondatrices, céréales ou olivier, la doxa ethnologique attribue le potager à la ménagère, le champ aux hommes — sauf tâches secondes comme récoltes non céréaliennes, jadis échardonnage, etc. Des Achuar, où les femmes, dit Philippe Descola, élèvent le manioc avec un coup de pouce des esprits, à la banlieue, entre jardin de sorcière et jardin ouvrier ou partagé, entre hectares de maïs et petite horticulture urbaine, cette répartition des fonctions évolue sous nos yeux, hésite, s’imprécise, se brouille : qui échange graines ou boutures, qui tond le gazon, qui arrange le bouquet, qui s’occupe des plantes dans l’appartement ? Qui sème le champ, taille la vigne ? Qui dessine le rond-point, organise les espaces verts ? Aussi ressassées semblent-elles, ces questions des attributions genrées dans la conduite et le soin du végétal concernent l’ethnobotanique du XXIe siècle.
Les nombreuses ramifications du sujet imposent de privilégier l’approche où le « pourquoi dans telles conditions socioculturelles » précède le factuel détaché de son contexte. Que les contestataires des gazons trop gros buveurs aillent planter des poireaux dans les trous des golfs est un fait social à prendre en compte, mais il ne se relie que de loin à la thématique retenue. Les bombes à graines censées compenser les méfaits des désherbants, et nourrir des abeilles, n’ont pas encore visiblement accru la flore adventice ; mais elles n’ont pas dit un dernier mot qui peut les convertir en invasives… Avoir envie que des plantes poussent suffit-il à leur installation ? Que les plantes ne poussent ni n’importe où ni n’importe quand est un paramètre rarement pris en compte par les semeurs de futur fleuri.
Les bouleversements actuels des relations avec la plante, propices à l’embroussaillement des idées, n’excluent pas l’émergence de nouveaux savoirs. On voit ainsi la bonne pratique horticole conseiller des « associations » entre légumes, légumes et aromatiques, etc. Ces « effets de voisinage » sont regardés comme favorables à la croissance, ou décourageant les pathogènes : carotte et poireau s’entraident de longue date, tomate et autres Solanacées apprécient la présence du basilic, la capucine éloigne les pucerons des Cucurbitacées, l’œillet d’Inde est un protecteur universel, etc. À l’inverse, des antagonismes (allélopathies) incitent à proscrire certains rapprochements comme épinard/betterave, pomme de terre/courge, oignon/haricot, etc.8
Comment ces observations se sont-elles construites et diffusées ? La part de la mémoire jardinière y est faible. Ici, pas de théoricien du non-théorisable analogue au Dr. Bach dans la genèse des élixirs floraux. Interviennent de surcroît des plantes américaines dont la plupart ne gagneront les jardins ou les champs qu’au XVIIe siècle, sinon plus tard. Quelles sont alors la part de l’observation, l’incidence de la projection dans la mise en place de ces savoirs dont il est dit par ailleurs que « scientifiquement parlant, on (n’en) sait pas grand-chose »9. Désormais intégrée aux pratiques de la permaculture, cette nouvelle attention aux sympathies et antipathies inter-végétales donne à voir les assises d’une construction empirique en cours, très intéressante à considérer.
Le passage à l’acte agricole initie la contrainte sur les plantes, fonde, a-t-on dit, celle sur les humains. Quand il est entrepris de semer, croiser, greffer, forcer — et sélectionner jusqu’au tératologique : rose à 1000 pétales, et, génétique aidant, maïs à 1000 grains par épi10 —, la domination sur le végétal paraît de moins en moins séparable du fait de domination sociale. Pour autant que l’idée de « révolution néolithique » reste encore un repère incontournable dans l’histoire des civilisations. Les céréales sauvages déjà récoltées pour la mouture il y a 30 à 50 000 ans en Australie se débrouillent toute seules, elles donnent une farine bien avant les premiers semis11.
La supposée linéarité de l’histoire agraire et des techniques associées, déjà contredite aux origines, trouve aujourd’hui, avec la prise en compte des « modèles naturels », de nouvelles raisons de vacillement. Toute la relation à la plante, imbriqué avec celle du monde, se transforme sous nos yeux ; l’ethnobotanique ne peut manquer cette opportunité !
Le rapport mode d’agriculture/type de société est interrogé depuis longtemps. Si l’ordre agraire et l’ordre jardinier diffèrent profondément, ce n’est pas encore assez pour voir les orgueils et les conflits dépendre seulement du premier. L’évolution possible de la relation au végétal vers autant d’attention à l’être qu’au produit, parallèlement à la critique de l’injustice constitutive des systèmes productivistes, pourrait bien faire reconsidérer toute la question.
Le 4 décembre, jour de la Sainte-Barbe, les méridionaux déposent dans une soucoupe, les mouillant un peu, les grains de blé achetés au profit d’une association caritative (en Allemagne, le même jour, un rameau de cerisier mis dans un vase doit fleurir à Noël). Ce « blé de l’Avent », jadis témoin participant de l’attente d’une naissance divine, s’est fait pratique machinale à la prise de pouvoir du Père Noël. Reste qu’une certaine espérance lève et verdit toujours au bord de la fenêtre ; aussi imprécise soit-elle, elle met dans la maison une attente moins fébrile que celle des cadeaux. Cependant, au lendemain de la fête, peu se rappellent l’obligation d’aller planter les pousses vertes dans un champ de blé, qu’entraînerait alors le petit élan de confiance.
Bien des symboles persistent dont on ne sait plus les attaches. Mais la fabrique du symbole, toujours innovante, sait renouveler ses matières premières ; l’atelier des plantes en témoigne sous nos yeux de façon exemplaire ; ce séminaire attend la nouvelle visite guidée.12
Pierre Lieutaghi
Modalités de soumission : Les propositions, un résumé de 5000 caractères maximum, sont à envoyer à elisebain chez hotmail.fr avant le 28 avril 2023
Prise en charge : Les frais de déplacement, d’hébergement et de repas des intervenants au séminaire seront pris en charge par le musée de Salagon.
Actes
Les communications, après soumission à relecture, feront l’objet d’une publication dans les Actes des séminaires de Salagon
Notes
1 Le recours désormais fréquent aux calendriers lunaires suppose-t-il un néo-culte à Séléné ?
2 Voir le séminaire d’ethnobotanique d’octobre 2021, « Une balade en forêt ? », l’intervention de Magali Amir, Le projet Giono. La forêt de chênes sessiles, de Vachères à Verdum, Mane, Musée de Salagon.
3 « Le maître qui fait germer les plantes » est un nom médiéval du diable selon J. Michelet, La sorcière. Au semis du persil sont associés de nombreuses pratiques à caractère protecteur.
4 Site Pour la science, 14 mars 2012. La conservation des semences au froid (-18°) a désormais son Arche de Noé au Spitzberg, la « Réserve mondiale de semences du Svalbard », projet de la Norvège et des États nordiques appuyés par des instances internationales. N. B. : une terre agricole préservée des désherbants peut renfermer jusqu’à un millier de graines fertiles au litre.
5 En 1600 déjà, Olivier de Serres, impressionné par les plantations monospécifiques alignées des domaines allemands qu’il a visités, assure toutefois que c’est le peuplement mélangé qui doit prévaloir, associant les arbres qui « mieux symbolisent par entr’eux (…) eu esgard à l’expérience que la Nature mesme en faict tous les jours » (Le Théâtre d’Agriculture, VII, IX).
6 Chambers, Ch. E., (1941). « The botany and history of Zizania aquatica L. (wild rice) », Ann. Rep. Smithsonian Inst. for 1940, p. 369-382, fig.
7 C’est via l’entretien des sites qu’ici on favorise la plante à cueillir ; sorte de proto-agriculture qui « jardine » le milieu naturel, taillant en boule les lavandes ou en têtard les ligneux.
8 L’Antiquité signale l’incompatibilité de la vigne et du chou (Théophraste 4, 16, 6), qui se retrouve encore au début du XXe siècle dans l’usage du second comme antidote de l’ivresse. Les Latins voient dans le chêne à feuilles caduques le pire ennemi de l’olivier (Columelle, Res rustica, V, 8, 7) ; opposition sauvage/cultivé, dont le principe perdure dans l’injonction de « propreté » faite au champ et au jardin. L’allélopathie intervient souvent dans la dynamique des associations végétales spontanées. Ainsi, les excrétions racinaires de l’épervière piloselle ou du thym commun inhibent la levée de nombreuses graines étrangères.
9 Blog de Gilles le jardinier bio — https://www.un-jardin-boso.com/association-de-plantes/
10 Tandis que le maïs originel, la téosinte, en donne seulement de 5 à 12. Ce nom dériverait du nahuatl tēocintli, de tēotl, « dieu », et cintli, « épi sec ». À rapprocher de Cintéotl, le dieu du maïs aztèque.
11 Voir : Gorecki P., Grant M. , O’Connor S. & P. Veth (1997). « The Morphology, Function and Antiquity of Australian Grinding Implements ». Archaeology in Oceania, 32, 2, Studies in Australian and Pacific Archaeology, I, 141-150 — https://australian.museum/learn/cultures/atsi-collection/cultural-objects/grindstones/ — Et aussi, pour le questionnement anthropologique associé : Hadad, Rémi & Jessica De Largy Healy, « “C’était un autre pays” : le passé retrouvé des Aborigènes australiens face au spectre de l’évolution sociale » (Partie II), L’Homme, 2022, 2 (n° 242), p.141-164 — cairn.info/revue-l-homme-2022-2-page-141.htm
12 Merci à Élise Bain, Raphaëlle Garreta, Danielle Musset, Jean-Yves Durand, Pascal Luccioni, pour leurs critiques, suggestions, réparations et contributions diverses à la finalisation de ce texte.
Colloque
Du 12 au 14 octobre 2023 (Salagon)
Vingt-et-unième séminaire annuel d’ethnobotanique du domaine européen
Page créée le dimanche 22 janvier 2023, par Webmestre.