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Appel
Date limite de soumission : mercredi 30 avril 2025
Le retour de Frantz Fanon[1] en ce centenaire de sa naissance s’explique par les violences du néocolonialisme sur les Subalternes, les exactions du racisme occidental et les formes de terreur régnant dans certaines régions du monde. Le spectre de Fanon propose de nouveaux outils épistémiques pour repenser l’aliénation des colonisés au prisme des enjeux psychologiques. En 2007, Jean Khalfa et Robert Young[2] ont publié un ensemble d’inédits de Fanon sur l’aliénation et la liberté afin de bien saisir ce que pourrait signifier la dépersonnalisation de l’Etre noir. Le concept fanonien de l’aliénation permet de suivre les bifurcations évasives des déplacements opérés par Fanon pour élaborer sa pensée combien originale. Chez Fanon, la question raciale s’est fait nourrir des puissances théoriques des questions sexuelle et de classe. Fanon est un véritable penseur de l’intersectionnalité des multiples dominations qui rongent les conditions de vie des Nègres. En attribuant une attention spéciale à la culture et à la race, Fanon arrive à décentrer ses topos théoriques pour élaborer une œuvre plurielle de traduction conceptuelle. C’est dans cette optique que Hourya Bentouhami-Molino[3] rapproche Fanon de Gramsci dans leur triple démarche d’adaptation, de recomposition et d’actualisation des théories occidentales. Fanon rejette tout essentialisme racial pour saisir le racisme dans ses manifestations sociales au gré du mode de production dominant. Il écrit : « En Martinique, il est rare de constater des positions raciales tenaces. Le problème racial est recouvert par une discrimination économique et, dans une classe sociale déterminée, il est surtout producteur d’anecdotes. Les relations ne sont pas altérées par les accentuations épidermiques[4]. »
L’influence de Fanon s’est fait sentir tout au long du XXe siècle largement marqué par des mouvements singuliers de décolonisation. Il est considéré comme un inspirateur du multiculturalisme et un précurseur du postcolonialisme. Certaines universités anglosaxonnes le considèrent même comme un penseur majeur du postcolonialisme[5]. Les conflits d’interprétation des œuvres de Fanon ne cessent d’augmenter au point d’occulter, a des profits idéologiques et politiques, des moments stratégiques de la pensée fanonienne. Dans cette dynamique anticolonialiste, il faut saisir Fanon au-delà des systèmes d’enfermement pour comprendre ses œuvres, écrit Matthieu Renault[6], comme un moment transitionnel qui réactualise ses analyses critiques envers le colonialisme. Le retour de Fanon doit aussi éviter toute forme de sacralisation de sa figure dans une démarche dogmatique avec l’œuvre en question, ce que Adam Shatz[7] dénonce au nom de « l’idolâtrisation » de Fanon. Dans cette biographie de Fanon qui vient d’être traduite en français, Adam décortique certaines « lectures erronées » de Fanon axées sur un « essentialisme racial ». Des lectures ont même insisté sur l’homme engagé au détriment de l’intellectuel penseur qui engage un long processus de décolonisation des savoirs occidentaux[8]. Fanon est un penseur multidimensionnel qui arrive à croiser avec brio une pratique clinicienne de la psychiatrie, une responsabilité politique et un profil littéraire par intermittent. Donc, la pensée fanonienne opérait de véritables innovations théoriques au regard des dialogues constants avec Marx, Freud et Sartre.
« Il faut lire Fanon en philosophe sociale[9] », soutient Norman Ajari qui rapproche Fanon des thèses de Franck Fischbach, dans Manifeste pour une philosophie sociale (2009) Fanon est un philosophe singulier qui déconstruit les vicissitudes existentielles liées au monde postcolonial. Etant largement influencé par l’existentialisme sartrien, Fanon décide de saisir l’angoisse du Nègre en passant par une reconstruction libératrice des opprimés. Son attention pour Sartre lui a permis de relire Marx afin d’éviter le piège du communisme orthodoxe. Comme Césaire, Fanon s’installera en marge des organisations communistes européennes encore ancrées dans une mondialité indifférenciée. La Lettre de Césaire à Thorez (1956) représente le foyer tournant de la défection communiste de Fanon.
L’influence de Karl Marx sur la pensée fanonienne est la plus décisive pour élaborer son projet d’émancipation des opprimés du monde. Des références à Marx sont constatées dans Peau noire, Masques blancs : la 11eme Thèse sur Feuerbach inaugure cet essai et 18 Brumaire de Louis Bonaparte est cité en exergue du dernier chapitre. Dans Les Damnés de la terre et Pour la révolution africaine, la pensée marxiste passe au crible épistémique de l’anticolonialisme. C’est dans cette perspective que Fanon est qualifié par Forsythe Dennis[10] de « Marx du tiers-monde ». Dans Les Damnés de la terre, Fanon souligne la nécessité de traduire le marxisme : « Les analyses marxistes doivent toujours être légèrement distendues chaque fois qu’on aborde le problème colonial[11]. » Cette distension du marxisme[12] s’explique avec Matthieu Renault[13] par un élargissement au-delà des frontières de l’Europe mais aussi par un moment de réagencement des moments conceptuels de cette pensée. La problématique fanonienne de la subjectivation politique explique bien ce déplacement axé sur une revalorisation du lumpenprolétariat. Fanon opte pour une alliance entre la paysannerie et le lumpenprolétariat afin de constituer les fondements du sujet révolutionnaire. Ainsi, il évite toute fixation exclusive vers la classe prolétarienne traditionnelle pour rehausser la valeur politique de ce qui est considéré comme des « sous-classes ». Peter Worsley écrit : « Fanon fut l’un des premiers à apprécier non seulement l’existence, l’ampleur et le rythme de croissance de ces populations (lumpenprolétariat), mais aussi leur potentiel révolutionnaire. A l’alliance révolutionnaire habituelle entre le prolétariat et la paysannerie, il a substitué l’alliance entre la paysannerie et cette sous-classe urbaine[14]. »
Ce colloque accorde une attention particulière aux interprétations de Fanon au point de se demander : Comment lire Fanon aujourd’hui ? La meilleure façon de faire honneur à Fanon, c’est de créer du Fanon originel plusieurs figures intellectuelles et politiques. En d’autres termes, il existe plusieurs Fanon qui se déclinent en fonction des besoins d’intelligibilité du contexte. Fanon, lui, vacillait sur plusieurs territoires pour lire Marx, Freud et Sartre. Ce colloque cherche à faire rencontrer ces différents Fanon entre eux afin d’ouvrir de nouvelles brèches de réflexions autour de ces œuvres. En 1963, Jean-Paul Sartre écrit : « Sur Fanon, tout en encore à dire. » La rencontre de Fanon avec le marxisme, l’existentialisme et l’anticolonialisme engage de véritables pistes de débats pour déchiffrer et dépasser les contradictions du monde contemporain dominé par les violences du capitalisme et du colonialisme. Le voyage de Fanon en Haïti pourrait fournir de repère épistémique pour alimenter ces discussions. Né martiniquais et mort algérien, Fanon représente la figure réussie de l’internationalisme progressiste apte à instaurer les conditions mondiales de la désaliénation des anciens colonisés. Face aux crises actuelles qui traversent Haïti, les œuvres de Fanon seraient d’une grande utilité pour expliquer et transformer le statut quo.
Les axes du colloque
Frantz Fanon, la violence et la guerre
La négritude fanonienne
Frantz Fanon et la lutte pour la libération nationale
Frantz et l’aliénation
Frantz Fanon, entre l’anticolonialisme, le postcolonialisme et la décolonialité
Frantz Fanon entre la philosophie politique et la philosophie sociale
L’internationalisme fanonien
Frantz Fanon et les marxismes
Les propositions de participation doivent être envoyer à Cadet.jeanjacques chez yahoo.fr Chalmerscamille6 chez gmail.com avant le 30 avril 2025
Comité scientifique
Dr Norman Ajari, Maitre de conférences à l’Université d’Edimbourg
Pr Nelson Maldonado-Torres, Association caribéenne de philosophie
Dr Odonel Pierre-Louis, Université d’Etat d’Haïti
Pr Yves Dorestal, Université d’Etat d’Haïti
Pr Felix Valdes Garcia, Instituto de Filosofia de la Habane
Dr Glodel Mézilas, Université Quisqueya
Dr Mentor Ulysse, Université Paris 8
Dre Loudmie Gué, Université Paris 8
Dr Wooldy Edson Louidor, Pontificia Unieversidad Javeriana
Pr Wilbert Saint-Georges, Université Notre-Dame d’Haïti
Dr Jacques Nesi, Université des Antilles
Dr Adler Camilus, Université d’Etat d’Haïti
Dr Joel Michel, Université Publique du Nord-Ouest
Dr Moles Paul, Université d’Etat d’Haïti
Pr Matthieu Renault, Université Toulouse-Jean Jaurès
Dr Pauline Vermeren, Collège international de philosophie
Dr Joram Vixamar, Université Publique du Nord au Cap-Haitien
Comité d’organisation
Camille Chalmers
Gabriella Gabriel Datricia
Merilus Johny Gene
Jean-Jacques Cadet
Notes
[1] Nelson Maldonado-Torres, « Avec Fanon, hier et aujourd’hui », Groupe décolonial de traduction.
[2] Frantz Fanon, Ecrits sur l’aliénation et la liberté, sous la direction de Jean Khalfa et Robert Young, Paris, La Découverte, 2025.
[3] Hourya Bentouhami-Molino, « De Gramsci à Fanon, un marxisme décentré », Actuel Marx, 2014/1, no 55, page 99-118.
[4] Frantz Fanon, “Antillais et Africains”, Revue Esprit, 1955.
[5] Florence Aubenas, “Dans l’ombre de Frantz Fanon, penseur majeur du postcolonialisme”, Le Monde, 2017.
[6] Matthieu Renault, Frantz Fanon : De l’anticolonialisme à la critique postcoloniale, Paris, Editions Amsterdam, 2011.
[7] Adam Shatz, Frantz Fanon. Une vie en révolutions, Paris, La Découverte, 2024.
[8] Voir à ce propos ces deux articles : Lewis R. Gordon, “Décoloniser le savoir à la suite de Frantz Fanon”, 2008 et Matthieu Renault, “Frantz Fanon et la décolonisation des savoirs”, 2018.
[9] Norman Ajari, Race et violence : Frantz Fanon à l’epreuve du postcolonial, Philosophie, Université Toulouse Le Mirail, 2014.
[10] Forsythie Dennis, “Frantz Fanon, the Marx of the thirdworld”, Phylon vol 34, 1973, page 160-170.
[11] Frantz Fanon, Les Damnés de la terre, Cité par Matthieu Renault, “Frantz Fanon et les géographies marxistes de la violence”, Revue Période, 2016.
[12] Dans une démarche discursive avec les projets épistémiques de Jacques Roumain et de Carlos Mariategui sur l’indigénisation du marxisme. Voir les textes de Michael Lowy.
[13] Matthieu Renault, “Frantz Fanon et la décolonsation des savoirs”, Les Afriques dans le Monde, 2018.
Colloque
12-13 juillet 2025 (Port-au-Prince, Haïti)
Page créée le jeudi 13 mars 2025, par Webmestre.