Appel
Date limite de soumission : vendredi 15 mars 2024
Colloque organisé par Emmanuel Blanchard, maître de conférences HDR à l’UVSQ, CESDIP, chercheur associé à l’INED, et Emilien Fargues, chercheur postdoctorant au CESDIP
Ce colloque vise à établir un état des lieux des études existantes et à susciter de nouvelles recherches à propos des recompositions des liens de nationalité dans les anciennes puissances coloniales après les indépendances. En s’appuyant sur des perspectives disciplinaires diverses (histoire, science politique, sociologie, droit…), il permettra également d’examiner les méthodes et les sources disponibles. Cet événement a aussi vocation à constituer un réseau international de chercheuses et de chercheurs intéressé·es par les transformations des liens de nationalité en relation avec les histoires coloniales et postcoloniales, en vue de futures recherches comparatistes et de collaborations internationales.
Parmi les cas d’étude, un intérêt spécifique sera porté à la France, aux Pays-Bas, au Portugal et au Royaume-Uni. Des différences importantes ont pu caractériser ces pays dans l’organisation des relations entre les métropoles et les colonies, ainsi que les idéologies entourant la « mission » des autorités coloniales dans les territoires administrés. Malgré ces différences, ces quatre pays ont en commun d’avoir étendu, à des moments divers, la nationalité impériale aux populations qualifiées d’« indigènes », « inlanders », « indigenas » ou « natives » dans un cadre dégradé, tout en réservant l’accès à une théorique pleine citoyenneté à d’infimes minorités distinguées par l’administration coloniale (« naturalisé·es », « assimilados·as »…). Lors des décolonisations, la conservation ou la perte de la nationalité de l’ancienne puissance coloniale a été gérée de manière variée. Dans le but d’interroger ces divergences et ces similitudes, une attention particulière sera portée aux communications qui aborderont les contextes britanniques, français, néerlandais ou portugais. Cependant, les propositions envisagées sur d’autres anciennes puissances coloniales sont tout à fait bienvenues. De même, les communications qui porteraient sur la reconfiguration de la nationalité impériale à la fin de la période coloniale seront accueillies positivement.
Les participant·es sont encouragé·es à inscrire leurs propositions dans quatre axes de recherches principaux que le colloque a vocation à développer.
Axes de recherche
Législations
Les réaménagements du droit de la nationalité des anciennes métropoles au cours des décolonisations ont suscité de nombreuses études et commentaires. Ces travaux ont souvent abordé des cas d’étude spécifiques (pour la France, voir Massicot 1986, Lagarde 1995, Weil 2002, Spire 2005, Bertossi et Hajjat 2010, Saada 2017 ; pour les Pays-Bas, voir Heijs 1995, Vink 2002 et 2005, Van Amersfoort et Van Niekerk 2006, Van Œrs, de Hart et Groenendijk 2010, Jones 2012, Bonjour et Westra 2022 ; pour le Portugal, voir Ramos 1992 et 2001, Gil et Piçarra 2020, Peralta, Delaunay et Góis 2022 ; pour le Royaume-Uni, voir Dummett et Nicol 1990, Paul 1994, Spencer 2002, Karatani 2003, Hansen 2004, El-Enany 2018, Patel 2021 ; pour l’Italie, voir Fusari 2018 et 2020, Ballinger 2020). Les recherches comparatives restent moins nombreuses (Horta et White 2008, Jerónimo et Vink 2011, Buettner 2018).
Dans la continuité de ces travaux, l’objectif de ce premier axe de recherche est d’établir un état des lieux des législations instaurées après les décolonisations en ce qui concerne la conservation, la perte, et la (ré)acquisition de la nationalité pour les populations anciennement colonisées et leurs descendant·es. Les propositions pourront notamment examiner l’adoption de règles distinctes pour ces populations, par contraste avec les populations « européennes », et questionner dans quelle mesure ces distinctions rejouent des logiques d’inclusion et d’exclusion héritées de l’époque coloniale, fondées sur des bases raciales.
Les propositions pourront aussi explorer la mise en place de dispositions juridiques particulières selon les territoires anciennement colonisés considérés. Les ex- puissances coloniales ont en effet parfois conclu des accords spécifiques avec les pays nouvellement indépendants en matière de nationalité, ou adapté des lois générales en créant des conditions propres à certaines catégories de population. Ces distinctions ont souvent résulté en un mille-feuille juridique qu’il s’agirait de restituer dans toute sa complexité.
Controverses et mobilisations
Ce deuxième axe de recherche vise à revenir sur les controverses et mobilisations politiques ayant accompagné les réaménagements du droit de la nationalité à l’ère postcoloniale dans les ex-métropoles.
Parmi les recherches précitées sur le Royaume-Uni, on trouve plusieurs travaux approfondis sur les discussions des élites politiques concernant la législation sur la nationalité à l’ère postcoloniale (voir notamment Paul 1994, Spencer 2002, Karatani 2003, Hansen 2004). Comparativement, les études disponibles sur la France, les Pays- Bas ou le Portugal ne se penchent pas toujours en détail sur ces discussions.
Nous encourageons particulièrement les contributions cherchant à revisiter la question de la politisation, ou non, de la conservation ou de la perte de la nationalité de l’ancien empire pour les ex-sujets colonisés au moment des décolonisations. Selon les situations, les règles en matière de conservation ou de perte de la nationalité de l’ancienne puissance coloniale ont pu susciter des controverses politiques impliquant de nombreux acteurs ou rester le domaine réservé d’interlocuteurs officiels négociant le sort des populations concernées en coulisses. Dans cette perspective, les propositions pourraient notamment réexaminer le lien entre les législations sur la nationalité et la construction des mobilités postcoloniales vers les ex-métropoles comme « problème public ».
Nous encourageons également les communications qui souhaiteraient s’intéresser aux mobilisations contemporaines en lien avec les législations sur la nationalité héritées des décolonisations. Au Royaume-Uni, les immigrant·es de la « génération Windrush » qui se sont installé·es dans le pays en tant que « citoyen·ne·s du Commonwealth » dans les années 1950 et 1960 ont été récemment menacé·es d’expulsion et ont depuis lors entamé une lutte juridique et politique pour réaffirmer leurs droits à la nationalité britannique (Gentleman 2019 et Slaven 2022). Au Portugal, entre 2017 et 2018, divers mouvements antiracistes, composés notamment de personnes afro-descendantes, ont lancé une campagne intitulée « Pour une autre loi sur la nationalité ». Cette campagne a notamment dénoncé les dispositions juridiques instaurées après les décolonisations en raison des difficultés qu’elles génèrent à l’encontre des descendant·es d’immigrant·es postcoloniaux·ales (Peralta, Delaunay et Góis 2022). Les participant·es sont invité·es à s’appuyer sur ces exemples ou d’autres comparables, afin d’envisager dans quelle mesure les ajustements du droit de la nationalité à l’ère postcoloniale continuent de susciter controverses et mobilisations.
Travail administratif
L’exploration du travail bureaucratique dans le domaine des politiques de la nationalité a engendré de nombreuses études dans les pays européens ayant un passé colonial (voir notamment : Hajjat 2012, Guerry 2013, Byrne 2014, Van Œrs 2012, Badenhoop 2017, Mazouz 2017, Fargues 2020, Fortier 2021, Sredanovic 2022, Trucco 2023). Ces travaux reposent sur des sources diverses, allant des archives administratives (directives, dossiers individuels…) aux études statistiques, des entretiens avec des fonctionnaires aux observations directement effectuées au sein des administrations concernées.
La mise en œuvre des politiques de la nationalité dans le contexte des colonisations/décolonisations a également été l’objet de plusieurs recherches. Certaines se sont penchées sur le traitement administratif réservé aux demandes d’accès à la nationalité ou aux pleins droits de citoyenneté des sujets colonisés à l’époque coloniale. Ces recherches semblent plus développées dans le cas de l’empire français (Saada 2003, Blévis 2004, Ben Salah 2022), comparativement aux autres anciennes puissances coloniales européennes (pour l’empire britannique, voir notamment Chesterman et Gallighan 1999 et Chesterman 2005 sur l’Australie pré- indépendance ; sur le Portugal, voir Neto 2010).
À l’époque postcoloniale, bien que les ajustements du droit de la nationalité dans les ex- métropoles soient documentés, la manière dont ils ont été concrètement appliqués dans le cas des populations originaires des anciennes colonies est moins connue. Peu de travaux se sont en effet intéressés à leur mise en œuvre (sur la France, voir notamment Spire 2005 ; sur les Pays-Bas, voir Ringeling 1978).
L’objectif de ce troisième axe de recherche sera de faire le point des recherches existantes et de réfléchir à des pistes futures qui pourraient être approfondies. Une attention sera portée au genre, aux catégories d’âge et aux configurations familiales dans les logiques administratives du traitement des demandes. Les discussions sur l’enjeu de l’accès aux sources administratives (archives, statistiques), ainsi que sur l’évolution des pratiques administratives à l’époque coloniale et postcoloniale sont aussi encouragées.
Récits et trajectoires
Le quatrième et dernier axe de recherche porte sur le rapport au droit de la nationalité de l’ancienne puissance coloniale du point de vue des immigrant·es originaires des anciennes colonies et de leurs descendant·es.
Il existe de nombreux travaux sur les récits et trajectoires d’installation des immigrant·es venu·es des anciennes colonies ou de leurs descendant·es dans les ex-métropoles européennes (voir notamment Cross et Entzinger 1988, Batalha 2004, Chamberlain 2004, Van Amersfoort et Van Niekerk 2006, Mügge 2010, Bosma, Lucassen, et Oostindie 2012, Dublet et Simon 2014, André 2016, Santelli 2016, Beaud 2018, E. Blanchard 2020, Grant 2019, Meslin 2020). La place qu’occupe l’enjeu de l’accès à la nationalité de l’ancienne puissance coloniale n’est cependant pas toujours abordée.
Loin de constituer un groupe homogène, les ressortissant·es des États issus de la décolonisation sont susceptibles de nouer un rapport complexe à la nationalité de l’ancienne puissance coloniale, en lien avec l’histoire politique de leur territoire d’origine mais aussi de leurs trajectoires personnelles et familiales. L’enjeu principal de ce quatrième axe de recherche consiste précisément à éclaircir ce point en replaçant leurs « carrières de naturalisation » (Masure 2014) dans l’histoire des recompositions du droit de la nationalité intervenues au cours des colonisations/décolonisations. Les participant·es sont aussi invité·es à réfléchir aux divers usages du droit de la nationalité, émotionnels (Yanasmayan 2015) ou stratégiques (Bauböck 2019), qui peuvent coexister au sein des familles de l’immigration postcoloniale, ainsi qu’à explorer l’enjeu de la conservation de la nationalité d’origine et de la plurinationalité (Perrin 2017, Blanchard et Lamarche 2023).
Table ronde
En supplément des présentations en lien avec les quatre axes ci-dessus, une table ronde relative à l’accès aux sources administratives liées à l’acquisition ou à la perte de nationalité en contexte postcolonial sera organisée.
Modalités de soumission
Les propositions (500 mots maximum) accompagnées d’un court CV (1 page) doivent être envoyées aux coordinateurs blanchard chez cesdip.fr ; emilien.fargues chez uvsq.fr en anglais ou en français avant le 15 mars.
Les discussions lors du colloque se tiendront dans les deux langues, une traduction simultanée sera proposée aux participant·es.
Un retour aux candidat·es sera envoyé le 5 avril.
Un budget est prévu afin de couvrir les coûts de déplacement et d’hébergement des chercheurs et chercheuses ne pouvant pas bénéficier d’une prise en charge par leurs institutions de rattachement. Nous invitons les candidat·es à nous indiquer leur situation et à préciser s’iels auraient besoin d’un financement. Les demandes seront étudiées au cas par cas.
Colloque
18-19 juin 2024 (Campus Condorcet, 72 Boulevard Ney, 75018 Paris (18 juin) / Archives nationales de France, 59 Rue Guynemer, 93383 Pierrefitte-sur-Seine (19 juin))
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