Appel
Date limite de soumission : jeudi 1er décembre 2022
Colloque co-organisé par Frédéric Gloriant et Fabrice Micallef (Nantes Université) à Nantes, les 8 et 9 juin 2023, avec le soutien du CRHIA (Nantes Université) et de l’Institut universitaire de France.
Durant ces trois dernières décennies, l’historiographie des relations internationales a été marquée par de profonds renouvellements problématiques et documentaires. Ces renouvellements, qui concernent l’étude des périodes moderne comme contemporaine, se sont orientés dans deux directions principales.
La première a consisté à porter un nouveau regard sur les enjeux et les formes des relations entre puissances, sans se limiter aux échanges bilatéraux entre grands États. L’ascension ou le déclassement des États sur la scène diplomatique, les pratiques de conciliation, de médiation ou d’arbitrage, les formes variées du multilatéralisme, les divers mécanismes d’intégration régionale et d’ « européanisation » des politiques étrangères dans le cadre de la construction européenne, font partie de ces nouveaux champs de recherche, de même que la fabrique des différents outils juridiques, symboliques et institutionnels servant de cadre à ces relations. On s’est également de plus en plus intéressé aux petits États et aux politiques spécifiques qu’ils sont conduits à mettre en œuvre afin de compenser leur faiblesse sur la scène diplomatique, notamment par l’usage de la neutralité, par la pratique de politiques de bascule entre les grandes puissances ou la promotion d’organes d’intégration régionale. La paradiplomatie menée par des acteurs institutionnels infraétatiques comme les villes ou les régions, tantôt en appui de la politique étrangère des États, tantôt en concurrence avec cette dernière, fait aussi partie des phénomènes nouvellement étudiés par l’historiographie. Dans le même sens, la recherche s’est intéressée aux démarches d’acteurs non étatiques sur la scène internationale : pour la période moderne, nobles, factions rebelles, provinces ou régions indépendantistes, mais aussi partis politiques, réseaux d’influence, ONG, acteurs privés issus du monde économique et financier, Églises et communautés religieuses, ou encore instances émanant d’organisations internationales parfois dotées de pouvoirs supranationaux pour la période contemporaine, qui agissent parfois en électrons libres et perturbent le jeu intergouvernemental. La politique menée par des régimes révolutionnaires, en quête de reconnaissance diplomatique par les puissances étrangères, se situe dans le prolongement de ces questionnements nouveaux qui situent les relations internationales au-delà du simple dialogue entre États.
Le deuxième grand champ de renouvellement historiographique a été consacré aux pratiques concrètes et aux acteurs de la négociation, en portant l’attention sur les individus et leurs parcours, notamment par l’usage des démarches biographique et prosopographique. Il s’est alors agi d’étudier le profil social des négociateurs, leur culture diplomatique plus ou moins partagée à travers l’Europe, leur professionnalisation progressive, ainsi que les normes comportementales qui régissent leur action politique. Ont été aussi étudiées les conditions matérielles du travail diplomatique, notamment autour de l’acquisition et de la transmission de l’information. Cet intérêt pour les aspects concrets a également concerné les pratiques de la négociation. Dans un contexte où se généralisait la pratique du multilatéralisme, la recherche a ainsi donné une place importante à l’entretien diplomatique, y compris informel, ainsi qu’aux relations interpersonnelles entre les diplomates et leur environnement social. Cette volonté de reconstituer dans toute sa complexité la « machine diplomatique », selon l’expression de Jean-Baptiste Duroselle, a également conduit à élargir le spectre des acteurs faisant l’objet d’investigations : au-delà des ministres, des secrétaires d’États et des ambassadeurs, on s’est intéressé à une vaste gamme d’agents diplomatiques, incluant les consuls, les secrétaires d’ambassade, les interprètes, les attachés militaires, les experts et les fonctionnaires internationaux au sein des organisations internationales, ou encore les émissaires plus ou moins officiels d’instances paraétatiques ou non-étatiques.
Le but de cette rencontre scientifique est d’articuler ces deux grands champs historiographiques, en se concentrant sur les rapports que les agents diplomatiques entretiennent entre eux, et sur la place de leurs interactions dans la structuration des relations internationales. Il s’agit ainsi d’étudier un espace social de la négociation et de la délibération diplomatiques qui ne semble avoir pas fait l’objet d’études majeures. En effet, les recherches se sont largement concentrées sur les négociations bilatérales « classiques », que les diplomates mènent avec les gouvernements auprès desquels ils sont en poste, ou encore sur les tractations qui se tiennent entre ambassadeurs lors de grands congrès ou au sein des institutions multilatérales qui ont été créées à l’issue de la Première Guerre mondiale et se sont multipliées après 1945. Toutefois, d’autres modalités d’interaction ont été peu étudiées, notamment les relations que les diplomates entretiennent entre eux quotidiennement, lors d’échanges formels ou informels. Plusieurs configurations peuvent être interrogées :
1) Les relations entre diplomates de puissances alliées en poste dans un même lieu. Quels sont leurs rapports formels et informels, publics ou secrets ? Quels sont les cadres matériels de ces relations privilégiées (réceptions, dîners…) ? Quel est le contenu politique de leurs interactions, par exemple en matière de partage d’informations, d’intercession ou d’entraide lors de négociations avec une tierce puissance ou à l’occasion de crises ? Pour ce qui concerne les XXe et XXIe siècles, quels échanges informels, quels effets d’interférence peut provoquer la localisation de plusieurs organisations internationales au sein des grandes capitales de la diplomatie multilatérale (Genève, New York, Bruxelles…) ?
2) Les rapports de compétition et de méfiance entre représentants de puissances adverses, ou simplement rivales, en poste dans un même lieu. Au-delà des querelles de préséance, qui ont beaucoup intéressé les recherches portant sur la période allant du XVIe au XIXe siècle, d’autres questions ont été moins étudiées : les pratiques de dénigrement mutuel, de contre-information, de propagande et de contre-propagande, de surveillance, d’intimidation, notamment lorsque les diplomates rivalisent pour rallier une puissance tierce à leurs intérêts. Mais on pourrait aussi mettre au jour, dans certaines circonstances, des situations de coopérations et de négociations fructueuses entre ces mêmes diplomates, en dépit des différends qui opposent leurs mandants.
3) Les échanges entre diplomates d’une même puissance. Ces relations internes à la machine diplomatique d’un État sont encore peu connues. On peut d’abord s’interroger sur les rapports entre les membres d’une même délégation diplomatique, ou entre les ambassadeurs résidents et ceux qui les rejoignent pour des missions ponctuelles. Si la coopération est idéalement de mise, les divergences de vues, voire les rivalités peuvent se faire jour et affecter le travail diplomatique. Il est également possible de s’interroger sur les échanges à distance entre agents d’une même puissance en poste dans différents lieux : quelles sont leurs interactions en terme de transmission d’informations, de partage de réflexions sur la situation politique, de partage de conseils sur la gestion de telle question diplomatique ? La politique étrangère d’une puissance n’est-elle pas en partie élaborée dans ces interactions entre diplomates homologues ? On peut dans ce sens soulever la question complémentaire des interactions entre diplomates de rangs et de fonctions différentes, comme par exemple entre ambassadeurs et consuls d’une même puissance.
4) Les rapports entre diplomates officiels et les multiples acteurs non-étatiques des relations internationales (émissaires d’institutions non-souveraines, agents de groupes dissidents ou rebelles, représentants des différentes factions d’une guerre civile ou d’entités infraétatiques). Comment ces négociateurs non-étatiques et non-professionnels cherchent-ils à compenser leur déficit de légitimité (ou de compétence) en établissant des rapports de confiance avec les diplomates officiels et en s’appuyant sur leur intercession ?
En soulevant ces interrogations qui portent sur la matérialité des interactions, sur le poids des relations interpersonnelles et sur des canaux mal connus de la négociation et de la délibération, ce colloque sera à même de mettre au jour une vaste zone grise de la pratique diplomatique et de la fabrique des politiques étrangères. Aussi, un enjeu central du colloque sera-t-il d’interroger, dans la longue durée, l’impact spécifique sur les relations internationales de cette zone grise, de cette « société des diplomates », qui se constitue par-delà le bilatéralisme classique et le multilatéralisme ad hoc des grands congrès des XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles ou institutionnalisé des XXe et XXIe siècles. À cet égard, en raison des effets de circulation des informations, des normes et des pratiques, de socialisation informelle, de constitution au fil du temps de « communautés épistémiques » transnationales, on pourrait être amené à formuler l’hypothèse que la « société des diplomates » a constitué un puissant facteur de multilatéralisation de la vie internationale, de renforcement en Europe puis au plan mondial d’une « communauté internationale » homogénéisée, permettant en outre d’intégrer à la vie internationale une pluralité d’acteurs non-étatiques. La « société des diplomates » jouerait ainsi dans le sens d’une transnationalisation de la vie internationale. Force est pourtant de constater que par la démultiplication des canaux d’échanges et des possibilités de dialogue informel ou confidentiel dans divers formats, la « société des diplomates » peut tout autant contribuer au renforcement de l’entre-soi diplomatique, au maintien de pratiques directoriales, voire à l’essor d’une diplomatie de clubs et de groupes restreints, formalisés ou non. Elle pourrait en ce sens contribuer à maintenir ou restaurer une hiérarchie au moins implicite entre puissances, y compris à l’ère du multilatéralisme triomphant de l’après-1945, et même en Europe de l’Ouest où l’institutionnalisation du multilatéralisme a été poussée le plus loin avec l’expérience de la construction européenne. Notre colloque visera à élucider cet impact paradoxal de la « société des diplomates », à en expliquer les variations selon les époques et les contextes.
De manière complémentaire, on pourrait même s’interroger sur l’homogénéité de cette « société des diplomates » d’origine européenne, qui au-delà de certains codes et normes partagés, reste fragmentée du fait du poids des cultures nationales propres à chaque diplomatie, et s’est aussi enrichie des apports d’autres traditions diplomatiques extra-européennes (en particulier américaine, au XXe siècle). Jusqu’à quel point ce que nous appelons la « société des diplomates » peut-elle être qualifiée de phénomène d’origine européenne ou propre à l’Europe ? Quelles influences d’autres traditions, en particulier américaines, ont-elles pu exercer sur les us et coutumes en vigueur au sein de la « société des diplomates » ?
Les communications pourront se concentrer sur l’un des quatre aspects présentés-ci dessus, ou bien adopter une approche transversale.
L’hébergement (jusqu’à trois nuits en hôtel) et le transport seront pris en charge par les organisateurs ;
Les langues du colloque seront le français et l’anglais ;
Une publication des actes du colloque est prévue.
Les propositions de communications (titre provisoire + résumé de 300 mots maximum + court CV d’une page, dans un seul PDF) sont à adresser, par voie électronique, avant le 1er décembre 2022 à frederic.gloriant chez univ-nantes.fr et fabrice.micallef chez univ-nantes.fr
Comité scientifique
Michel Catala (Nantes Université)
Indravati Félicité (Université Paris Cité)
Stanislas Jeannesson (Nantes Université)
Jenny Raflik (Nantes Université)
Marie-Karine Schaub (Université Paris-Est Créteil)
Eric Schnakenbourg (Nantes Université)
Colloque
8-9 juin 2023 (Université de Nantes)
Page créée le mercredi 7 juin 2023, par Webmestre.