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Appel
Date limite de soumission : samedi 15 avril 2023
Ce dossier thématique d’EchoGéo propose de porter le regard sur les machines qui ponctuent les communautés et scandent les activités quotidiennes des mondes autochtones - des machines qui pourtant semblent insolubles dans les représentations couramment véhiculées sur ces territoires et ces populations. Si les machines sont si rarement été étudiées, c’est parce que leur caractère exogène et a priori uniformisant pose problème. Au contraire, nous formulons l’hypothèse que ces matérialités sont source de créativité et de mémoire et qu’elles constituent une archive privilégiée pour comprendre la contemporanéité de ces sociétés à travers le monde. Il s’agit alors de montrer ce que les machines font aux territoires et, inversement, ce que ces territoires font aux machines. Dossier ouvert à toutes les sciences humaines, concernant toute la diversité des machines au sein de tout groupe officiellement reconnu, auto-déclaré ou simplement perçu comme « autochtone ».
C’est à peine si le regard sur les mondes autochtones s’est arrêté sur les machines qui ponctuent les communautés et scandent les activités quotidiennes, tellement elles semblent insolubles dans les représentations couramment véhiculées sur ces territoires et ces populations.
Documentaristes, anthropologues ou géographes en font un angle mort, un objet ingrat qu’il conviendrait de garder hors-cadre, une intromission exogène sans intérêt en soi qui viendrait contaminer la scène d’une réalité pré-mécanique originelle. De cette scène, disparaissent en premier les machines de l’observateur, comme avant l’avaient fait celles des missionnaires, des armées ou des ONG, leurs camions, leurs 4x4 ou leurs avionnettes. Mais disparaissent ensuite aussi les machines qui peuplent ces réalités, la moto du berger, la motoneige du chasseur, la tronçonneuse du cueilleur, le moteur hors-bord du pêcheur, le compresseur du petit mineur ou le vieux tracteur communautaire qui dort dans un hangar déshérité.
Ainsi par exemple l’excellent documentaire Kamtchatka, un été en pays évène, censé montrer « comment une famille évène a décidé de retourner s’installer en forêt au lendemain de la chute de l’URSS et continue d’exister autrement, dans un rapport animiste au monde, malgré les assauts de la modernité et les bouleversements environnementaux », tout en se concentrant sur le lien fort qui unit ces populations à la nature filme successivement un bateau à moteur, un camion, un bulldozer, une machine à coudre, un fusil, etc., comme autant d’éléments d’un décor mécanique omniprésent, mais inexpliqué et silencieux. Il en est de même de ces ONG ou administrations qui n’ont de cesse de pousser à la mécanisation et à l’arrivée de nouvelles machines, mais qui ignorent celles qui existent ou qui ont existé, les camions abandonnés, les bateaux démantelés, les motopompes à l’arrêt. Ce même biais revient, enfin, dans ces ontologies de la nature qui interrogent la relation entre humains et forêts tout en faisant l’impasse sur cet aspect pourtant essentiel de savoir s’il y a ou pas usage de tronçonneuses.
Si les machines ont si rarement été étudiées, c’est parce que leur caractère exogène et a priori uniformisant pose problème. Au contraire, nous formulons l’hypothèse que ces matérialités sont source de créativité et de mémoire et qu’elles constituent une archive privilégiée pour comprendre la contemporanéité de ces sociétés à travers le monde. Elles donnent à voir ce qui ne serait pas visible autrement. Elles permettent de dépasser les clivages courants entre nature et culture, humains et non-humains, individus et collectifs, industries extractives et populations locales. Leurs usages et mésusages traduisent des réalités techniques moins linéaires et plus accidentées que l’histoire des techniques ne l’imagine. Elles sont au cœur de la fabrique des rapports sociaux, de genre et environnementaux, en véhiculant et en réorganisant les asymétries de pouvoir et les inégalités qui structurent ces territoires.
Ce dossier thématique appelle à des contributions qui s’intéressent aux modes d’existence des machines dans ces territoires périphériques, en tant que matérialités critiques et archives inexplorées des recompositions spatiales, sociales, politiques ou environnementales en cours. Il s’agit alors de montrer ce que les machines font aux territoires et, inversement, ce que ces territoires font aux machines. Sans prétendre à l’exhaustivité, nous invitons à travailler sur toute la diversité de machines – motoneiges, tronçonneuses, générateurs, motopompes, tracteurs, motobineuses, bulldozers, deux-roues, camions, moteurs hors-bord, etc. – qui peuplent ces territoires et façonnent leur quotidien. De manière indicative, nous privilégions quelques pistes de travail :
1) Les nouvelles mécaniques des territoires
Il s’agira d’étudier comment la dissémination des machines bouleversent les géographies locales. C’est en effet pour et par les engins mécaniques que les territoires se transforment : par la tronçonneuse, l’abattage devient moins pénible ; par le camion, le transport des grumes devient plus aisé ; par le motogénérateur, la nuit se fait moins obscure ; par le tracteur, la parcelle devient arable ; par la moto, les proches se rapprochent. Les machines font ainsi évoluer les rapports à l’espace et s’imposent comme une condition des processus actuels de commodification de la nature.
2) Des machines et des animaux, une anthropologie des natures mécanisées
L’hypothèse habituelle est que les forces mécaniques remplacent les forces animales et que la mécanisation s’est traduite par une "désanimalisation" des activités quotidiennes. Nous invitons les auteurs à complexifier cette proposition en explorant et en documentant les relations contemporaines entre machines et animaux, les formes hybrides et les coexistences, les formes de mécanisation animale et les formes d’animalisation des machines, l’écologie des machines dans des mondes animaux et celle des animaux dans des mondes mécaniques, dans le but de construire une anthropologie des natures mécanisées.
3) Les machines, agencements du politique
Le fait mécanique s’inscrit asymétriquement dans des territoires postcoloniaux marqués par de fortes inégalités. Les machines ont en effet une existence politique sur le terrain, puisqu’elles mobilisent des faisceaux de relations clientélistes, elles perpétuent des formes de colonialité héritées du passé ou, au contraire, elles émancipent de nouvelles classes de populations, en réorganisant les rapports de force à l’échelle locale. C’est ainsi que les machines sont aussi l’objet de résistances, d’attentats ou de sabotages qui montrent bien leur statut contesté.
Ce dossier Sur le Champ est ouvert à l’ensemble des sciences humaines. Toute contribution portant sur des groupes officiellement reconnus, auto-déclarés ou simplement perçus comme « autochtones » – une catégorie englobante désormais mobilisée comme une ressource à la fois politique et territoriale selon les différents contextes géographiques – entre dans le cadre de cet appel.
Les articles seront rédigés en français ou en anglais, et comporteront environ 35 000 signes (plus les illustrations). Merci de vous reporter aux recommandations aux auteurs pour les normes de présentation du texte, de la bibliographie et des illustrations
Les articles peuvent aussi être soumis sur cette même thématique mais pour d’autres rubriques trimestrielles : Sur le Métier, Sur l’Image, Sur l’Écrit. Ils doivent alors se conformer aux attentes de chacune d’elles, comme indiqué dans la ligne éditoriale. Ainsi, les éditeurs de la rubrique Sur l’Image attendent des textes qui proposent une réflexion sur le statut de l’image dans la recherche et/ou sur l’écriture géographique.
Tous les textes proposés devront être envoyés à alberto.preci chez cnrs.fr, nicolas.richard chez cnrs.fr et pierre.gautreau chez univ-paris1.fr, coordonnateurs du dossier, avec copie à Karine Delaunay EchoGeo chez univ-paris1.fr, secrétaire éditoriale, qui les transmettra aux évaluateurs
avant le 15 avril 2023.
Coordinateurs du dossier thématique
Alberto Preci (Postdoc ANR Interruptions, CNRS - UMR 7227 CREDA) ;
Nicolas Richard (CR CNRS - UMR 7227 CREDA) ;
Pierre Gautreau (Professeur Université de Paris 1 - UMR 8586 PRODIG).
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