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Appel
Date limite de soumission : vendredi 1er décembre 2023
Fruit d’une collaboration entre le Réseau universitaire de chercheurs et chercheuses en histoire environnementale (le RUCHE, fondé en 2009) et l’Association française pour l’histoire des mondes du travail (l’AFHMT, fondée en 2013), ce colloque international propose de remettre en perspective historique les relations entre travail et environnement. Son ambition est de remettre à l’ordre du jour le projet ancien, mais inabouti, d’une histoire environnementale des mondes du travail (Toulouse les 19, 20 et 21 juin 2024).
Comité d’organisation
Renaud Bécot (Sciences Po Grenoble/UMR 5194 Pacte)
Romain Grancher (CNRS/UMR 5136 Framespa)
Judith Rainhorn (Université Paris I/UMR 8058 CHS)
Solène Rivoal (INUC/UMR 5136 Framespa)
Au printemps 2020, la pandémie de Covid-19 s’est traduite par un ralentissement des circulations globales et une interruption provisoire de certaines activités productives, entraînant alors des phénomènes inédits d’un point de vue environnemental, tels que la baisse temporaire des émissions de gaz à effet de serre ou l’incursion d’animaux sauvages au cœur des plus grandes métropoles de la planète. Dans ce contexte, la question du travail s’est imposée avec force dans le débat public. Dès les débuts de la crise, l’interruption de la plupart des activités productives a en effet été l’occasion de réactiver le débat sur la définition des besoins essentiels et de l’élargir à certaines catégories de travailleuses et de travailleurs, eux aussi considérés comme essentiels et placés de ce fait en « première ligne » face au virus. L’après-confinement a ensuite été marqué par le phénomène de la « grande démission » (big quit), suscitant une pénurie de main d’œuvre dans des secteurs très variés et dans des aires aussi différentes que l’Amérique du Nord ou l’Asie du Sud-Est. Souvent silencieuse, cette prise de distance de certains travailleurs avec leurs emplois s’est enfin exprimée dernièrement de manière plus bruyante, notamment au travers des appels à « déserter » certaines professions accusées d’aggraver le réchauffement climatique. L’expérience de la pandémie et ses conséquences ont ainsi donné matière à réflexion à de nombreux auteurs désireux d’interroger le sens du travail et ses finalités au prisme de la question environnementale (Coutrot et Pérez, 2022 ; Cukier et al., 2023).
Alors que le travail est encore souvent présenté comme un facteur de dégradation inévitable de la nature, ces différents phénomènes témoignent au contraire d’une profonde interdépendance entre les activités humaines et les environnements dans lesquels elles se déploient. Fruit d’une collaboration entre le Réseau universitaire de chercheurs et chercheuses en histoire environnementale (le RUCHE, fondé en 2009) et l’Association française pour l’histoire des mondes du travail (l’AFHMT, fondée en 2013), ce colloque international propose de remettre cette relation d’interdépendance en perspective historique. Son ambition est, d’une part, de contribuer à un dialogue plus approfondi entre ces deux grands continents historiographiques et, d’autre part, de réunir de nouveaux éléments en vue de remettre à l’ordre du jour le projet ancien, mais inabouti, d’une histoire environnementale des mondes du travail.
Dès les années 1990, Richard White a en effet suggéré de faire du travail « le point par lequel devrait débuter » toute étude d’histoire environnementale. Il avait alors à l’esprit aussi bien celui, organisé et intentionnel, que fournissent les sociétés humaines, que celui de la nature elle-même (nature’s labor) et de tous les êtres qui la peuplent (White, 1996). Mettant notamment l’accent sur les pratiques de travail des bergers, des paysans, des bûcherons, des pêcheurs et des chasseurs, ou encore des ouvriers et des mineurs, il soulignait comment ces pratiques avaient non seulement constitué le principal vecteur historique de transformation et de connaissance de l’environnement, mais également contribué à déplacer sans cesse les lignes de partage entre le sauvage et le domestique ou le naturel et l’artificiel (White, 1996). Au même moment, ou presque, Arthur McEvoy proposait quant à lui « une approche écologique » des enjeux d’hygiène et de santé afin d’écrire l’histoire des « environnements de travail » du passé (McEvoy, 1995), tandis que Marco Armiero invitait de son côté les historiens et les historiennes de la pêche à rendre compte des modes d’activation des ressources de la mer au moyen d’une démarche d’« écologie culturelle » attentive à la construction dialectique des environnements et des formes d’organisation professionnelle (Armiero, 1998).
Dans le sillage de ces propositions, un certain nombre de pistes ont d’ores et déjà été explorées en vue d’écrire une histoire environnementale des mondes du travail. Ainsi, un premier ensemble de recherches a été consacré à la question de l’hygiène industrielle, envisagée comme un laboratoire historique de la réflexion sur l’état de santé des travailleurs et de leurs environnements de vie ou de travail (Sellers, 1999 ; Moriceau, 2009 ; Massard-Guilbaud, 2010 ; Rainhorn, 2019). D’autres ont interrogé le rôle de certaines professions dans la production de savoirs naturalistes savants ou subalternes (White, 1995 ; Schneider, 2000 ; McKenzie, 2010 ; Barnett, 2020), ainsi que dans la conservation des ressources naturelles (Judd, 1997 ; Faget, 2011 ; Payne, 2013 ; Grancher, 2018 ; Rivoal, 2022). D’autres encore ont mis en lumière l’émergence au sein des mondes du travail de mobilisations collectives articulant les enjeux de justice sociale et de justice environnementale (Barca, 2015 ; Bécot, 2015 ; Davigo, 2017 ; Elsig et. al., 2019). S’inspirant de l’histoire globale du travail, qui s’est affirmée ces dernières années comme un courant de recherche particulièrement dynamique (van der Linden, 2012 ; Beckert, 2015 ; Lucassen, 2016 ; Stanziani, 2020 & 2021) et dont Marcel van der Linden a mis en évidence les enjeux et le potentiel historiographiques (van der Linden, 2022), des recherches plus récentes ont enfin proposé d’explorer à partir de terrains impériaux ou coloniaux les formes de domination et de mise au travail qui s’exercent conjointement sur la nature et sur celles et ceux qui se voient contraints de l’exploiter pour la convertir en ressource (Demuth, 2019 ; Crawford, 2021 ; Fernando, 2022).
Parallèlement, plusieurs auteurs ont cherché à élaborer un cadre conceptuel commun à l’histoire du travail et à l’histoire environnementale. Sans se référer explicitement au taskscape de Tim Ingold (Ingold, 1993 ; Gruppuso et Whitehouse, 2020), Thomas Andrews a par exemple tenté d’introduire le concept de workscape, qu’il présente comme un outil permettant d’étudier « les individus comme des êtres au travail (working beings), qui ont changé et ont été changé en retour par un monde ‘naturel’ en perpétuelle reconstruction » (Andrews, 2008 : 125). D’autres se sont par ailleurs efforcés de synthétiser, sous la forme de bilans historiographiques de plus en plus denses, les principaux apports de recherches engagées à la croisée de ces deux champs (Peck, 2006 ; Montrie, 2008 ; Barca, 2014 ; Brown et Klubock, 2014 ; Andrews, 2014 ; Bécot, 2022). Leur intérêt est d’offrir un bon aperçu de la richesse et de la variété de ces recherches, mais aussi de pointer tout un ensemble de biais propre à l’histoire environnementale des mondes du travail qu’elles promeuvent, celle-ci restant en effet encore assez largement une histoire humaine, musculaire et masculine du travail dans les nations occidentales de l’époque contemporaine.
L’objectif de ce colloque consistera à poursuivre l’exploration des pistes évoquées ci-dessus et à ouvrir de nouvelles perspectives de recherche tout en essayant de ne pas reconduire ces biais de lecture, voire de les corriger, en mettant par exemple l’accent sur le travail animal et les relations interspécifiques (Baratay, 2011 ; Jarrige, 2022), le travail intellectuel (Ribard, 2005 ; Dagget, 2019) ou le travail des femmes (Schwerdtner Máñez et Pauwelussen, 2016). Dans cette perspective, les propositions de communication pourront 1) porter sur l’ensemble des périodes historiques et des aires géographiques ; 2) traiter d’une large palette de travailleurs humains et non-humains engagés dans différents lieux et différentes relations de travail ; et 3) mettre en évidence la diversité des rapports au « travail » et à la « nature » d’une société ou d’une période à une autre. Le comité scientifique sera particulièrement attentif aux communications proposant une approche critique et décentrée de ces catégories ancrées dans la culture occidentale. Il veillera par ailleurs à ce que les propositions retenues reflètent une variété d’approches, de disciplines (pourvu qu’il y ait une perspective historique) et d’échelles d’analyse, depuis la micro-histoire des environnements de travail jusqu’à l’histoire mondiale et connectée des migrations professionnelles.
Ces propositions pourront notamment s’inscrire dans l’un des axes suivants, mais cette liste n’est ni exhaustive, ni limitative.
La nature au travail
L’un des enjeux centraux du colloque sera de parvenir à « dévoiler » davantage encore « les connections entre le travail des humains et le travail de la nature », comme y invitait Richard White dans son article programmatique de 1996. Pour cela, il s’agira d’abord d’envisager les activités de travail comme un ensemble de pratiques, de savoirs, de techniques et d’institutions ayant contribué historiquement à la mise en ressource de la nature, c’est-à-dire à son exploitation, mais aussi à son aménagement et à son amélioration en vue de la rendre plus productive. La question des articulations entre modes de mise en valeur des environnements et formes d’organisation sociale, politique et professionnelle sera certes au cœur de la réflexion, mais l’ambition sera de tenter de la reformuler à partir d’une série d’interrogations autour du travail de la nature elle-même. Ainsi, des enquêtes d’histoire environnementale des idées centrées sur les notions de « ressources », de « don », de « rendement » ou de « produit » de la nature, par exemple, permettraient sans doute de mieux historiciser les représentations qui ont accompagné et justifié sa mise au travail (Vatin, 2013 ; Arnoux, 2023). Dans une autre perspective, il pourrait être intéressant de mobiliser les animal studies pour proposer d’envisager cette question à partir du travail des bêtes, qu’elles soient sauvages (abeilles, castors, termites, etc.) ou domestiques (chevaux, mulets, chiens, etc.). Enfin, une dernière piste pourrait consister à s’interroger sur les limites fixées, voire les résistances opposées par la nature à sa mise au travail, qui peut en effet se voir contrariée, ou du moins contrainte, par la matérialité de certains environnements, la saisonnalité de certains processus ou l’indocilité de certaines espèces.
Environnements de travail
S’appuyant sur la géographie historique, de nombreuses études d’histoire ou d’anthropologie rurale ont montré comment le travail agraire ou pastoral avait façonné de longue date les environnements et les paysages, de sorte qu’il faut les regarder comme des formes hybrides résultant de processus inséparablement naturels et sociaux (Digard, 1982 ; Barca, 2013 ; Stagno et al., 2021) – ce que William Cronon avait proposé de théoriser avec sa notion de « seconde nature » dans Nature’s Metropolis (Cronon, 1991). En parallèle, d’autres auteurs s’inscrivant dans d’autres champs de recherche ont forgé des outils conceptuels pour penser l’écologie des lieux de travail (McEvoy, 1995 ; Andrews, 2008) pendant que l’histoire de la santé a rouvert des questionnements sur la matérialité de ces lieux (Bluma et Rainhorn, 2015). Partant de là, ce colloque voudrait ouvrir une réflexion plus large sur l’histoire environnementale des lieux et des espaces du travail, en allant du champ à l’usine en passant par le navire et la mine. Une option, parmi d’autres, consisterait à s’intéresser à la fabrique des environnements par le travail des humains et de leurs auxiliaires non-humains, en mettant notamment l’accent sur les activités d’aménagement et d’amélioration, mais aussi d’entretien et de maintenance des espaces productifs et de leurs infrastructures (comme les digues ou les canaux, par exemple). L’idée serait ici d’appréhender la gestion ordinaire de ces espaces, ce qui n’exclut pas de prêter également attention à la manière dont certaines activités extractives ou industrielles ont pu contribuer à la dégradation et à la pollution, voire à la dévastation complète d’autres espaces, à l’instar de certaines formes d’agriculture intensives dont les effets délétères sur les sols ont été identifiés de longue date (Worster, 1979 ; Grove, 1995).
Conflits socio-environnementaux dans les mondes du travail
L’analyse des conflits socio-environnementaux représente un autre angle d’approche potentiellement fructueux dans la perspective d’une histoire environnementale des mondes du travail. De trop rares travaux se sont intéressés aux conflits entre différents mondes socio-professionnels autour des usages d’un environnement donné. Certains auteurs ont proposé la notion « d’écologie morale » afin de comprendre les ressorts de ces mobilisations (Jacoby, 2003 ; Santiago, 2006), mais il serait bienvenu d’explorer davantage les tensions qui peuvent s’exprimer, par exemple, entre paysans ou pêcheurs et néo-ouvriers lors de l’industrialisation de certains territoires. Il s’agirait aussi d’éclairer dans quelles conditions se construisent des arrangements entre ces différents groupes professionnels. En s’inscrivant dans le prolongement de travaux récents sur l’histoire des pollutions (Jarrige et Le Roux, 2017) ou de la santé (Sellers, 1997 ; Markowitz et Rosner, 2002), il pourrait par ailleurs être intéressant d’envisager des cas permettant d’étudier conjointement les enjeux de santé au travail et de santé environnementale. Enfin, l’étude des implications environnementales des processus de désindustrialisation pourrait retenir l’attention. D’une part, la fermeture d’usines qui furent structurantes pour la vie sociale et économique d’un territoire révèle parfois l’ampleur de nuisances longtemps passées sous silence (Rainhorn et Dumontier, 2013 ; High et al., 2017 ; Marichalar, 2017). D’autre part, elle peut se traduire par des délocalisations vers d’autres pays, notamment du Sud (Sellers et Melling, 2012), qui mériteraient d’être envisagées comme autant de processus impliquant simultanément une incidence sur l’environnement et le recours à des formes spécifiques de travail.
Vers une histoire du travail environnemental
L’ambition de ce colloque serait enfin de parvenir à articuler ces approches relevant d’une histoire environnementale du travail à une approche relevant plutôt de ce qu’on propose d’appeler une histoire du travail environnemental. Il s’agirait, en somme, d’essayer de considérer comme du travail les activités de garde, de surveillance et de protection, mais aussi d’inventaire, de cartographie, d’expertise voire d’ingénierie qui visent à préserver, conserver ou restaurer la nature. En se focalisant sur tout un ensemble d’acteurs et d’actrices dont la fonction consiste à s’occuper et à prendre soin, d’une manière ou d’une autre, de l’environnement – forestiers, garde-chasses ou garde-pêches, ingénieurs, administrateurs, scientifiques (écologues, climatologues, etc.) – l’idée serait non seulement de s’interroger sur les dynamiques de professionnalisation qui ont conduit à faire de la gestion de la nature un métier à part entière, mais aussi de relancer la discussion autour de l’histoire des « savoirs écologiques » détenus et produits par ceux qui travaillent au contact de la nature.
Conditions de soumission
Les langues du colloque seront le français et l’anglais. Les propositions de jeunes chercheur.e.s sont particulièrement bienvenues. Les frais de mission seront ajustés en fonction du budget.
Les propositions de communication (titre, résumé de 2000 signes maximum, court CV) devront être envoyées à sueur.poussiere chez gmail.com avant le 1er décembre 2023. Une réponse sera donnée avant le 30 janvier 2024.
Page créée le jeudi 28 septembre 2023, par Webmestre.