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Appel
Date limite de soumission : jeudi 15 février 2024
Le chercheur qui aborde la sociologie de la Guyane française est confronté à un univers de paradoxes et de contrastes qui balaie ses certitudes et freine parfois ses avancées. En outre, certains champs de la recherche sont minés par le flou des données statistiques disponibles.
C’est à partir des années 1970 que l’on assiste au développement et à la diversification des recherches en sciences sociales, jusqu’alors polarisées sur l’étude des faits d’armes des Français en Guyane, la question du bagne ou la ruée vers l’or, tandis que l’anthropologie s’attachait à l’analyse des groupes ethniques amérindiens et marrons, supposés encore « intacts » et « purs » (Jolivet, 2007 : 86).
Les stratégies de peuplement de la Guyane ont contribué à créer une société multiculturelle. En effet, la volonté d’installer une majorité de colons européens a été un échec et celui-ci a nécessité l’appel d’une main-d’œuvre en provenance du monde entier. En conséquence, aujourd’hui, 63% de la population guyanaise n’est pas native : le poids démographique et les relations interculturelles entre ses groupes constitutifs ont varié au cours du temps, comme le démontrent les travaux pionniers de Marie-José Jolivet.
Cette publication vise à croiser différentes méthodes et angles d’analyse en vue de développer une approche multidisciplinaire qui questionne les enjeux socio-économiques, politiques et identitaires qui traversent la société guyanaise. Comme le rappelle Edgar Morin, le processus de décloisonnement disciplinaire peut être fécond, c’est ainsi que l’École des Annales a créé des travaux novateurs en introduisant les perspectives économique, sociologique puis anthropologique dans l’Histoire (Morin, 1990).
Les contributions pourront porter sur les trois axes suivants :
Axe 1 : De la traite négrière à l’accès à la citoyenneté : approche socio-économique
Colonisation et décolonisation dans les Trois Guyanes : il s’avère fécond de comparer les trajectoires postcoloniales de ces trois territoires présentant une forte similitude géographique et historique. Deux d’entre eux, longtemps colonisés par l’Angleterre et les Pays-Bas – le Guyana et le Suriname - ont accédé à l’indépendance en 1966 et 1975, tandis que la Guyane est devenue un département français d’outre-mer en 1946.
Un développement sans croissance endogène : l’évolution économique de la Guyane est singulière et contrastée. Si, en dépit de ses promesses, le processus de départementalisation (1946) n’est pas parvenu à hisser son économie au niveau de celle de la France « métropolitaine », ni à impulser un véritable processus de croissance, il a néanmoins contribué au progrès de l’indice de développement humain (IDH), aujourd’hui parmi les plus élevés d’Amérique Latine. Comment expliquer cette évolution ? Quelles conséquences, risques, limites ?
Une terre de contrastes : en même temps que la Guyane est la région la plus pauvre de France, sa capitale, Cayenne, a fait partie du palmarès des trois communes les plus riches au niveau du patrimoine et de l’impôt payé par les contribuables assujettis à l’impôt sur la fortune. Ici la modernité jouxte la précarité, et des installations permettant de mener à bien le lancement d’une palette de fusées et de satellites (Kourou) côtoient des bidonvilles. À Saint-Laurent-du-Maroni, le bâti spontané représente 60 % de l’habitat. Cette situation, en partie liée à un solde naturel et à un impact migratoire élevés, met à mal les capacités d’accueil et menace les services publics d’asphyxie. Comment y faire face ? Quelles perspectives ?
Axe 2 : Inégalités et discriminations
Le dividende démographique : avec un indice conjoncturel de fécondité de 3,6 enfants par femme en 2019, la Guyane est aujourd’hui la région de France après Mayotte où la croissance démographique est la plus forte et arbore l’un des taux de natalité les plus élevés d’Amérique du Sud, en particulier à l’ouest du territoire. Toutefois, depuis 1999, la légère baisse de la natalité signerait l’entrée dans une 2e phase de sa transition démographique. Cette tendance se confirme-t- elle ? Quelles politiques pour bénéficier du dividende démographique ?
La dynamique des discriminations socio- ethniques : Comment maintenir le processus de scolarisation des jeunes générations et la création d’emplois dans un contexte où le taux de chômage moyen est de 20% et atteint 70% des 15-24 ans dans l’ouest guyanais ? Comment limiter le départ ves l’Hexagone des populations les plus diplômées : en 2017, 30% des natifs de Guyane vivent hors de leur région natale, pour travailler ou poursuivre leurs études ? Comment lutter contre les discriminations socio-ethniques notamment subies par les Haïtiens, l’une des principales composantes migratoires, dont les enfants sont parfois victimes à l’école (Hidair, 2008) ?
Violences et inégalités de genre : la question du dividende démographique renvoie en outre à celle des discriminations sexuées. La Guyane est la seule région où le taux de scolarisation des femmes à 18 ans est inférieur à celui des hommes, tandis que la proportion d’enfants nés de mères de moins de 20 ans (10,2 %) est 10 fois supérieure à celle de l’Hexagone (1,2 %). Comment réduire le nombre de grossesses précoces, qui incarne et accroît le risque de rupture du parcours scolaire des femmes – 7 fois plus souvent chefs de familles monoparentales que les hommes, ce qui multiplie le risque de ne pas avoir d’emploi par 7,5. La Guyane est en outre le territoire français où le taux de violences conjugales est le plus élevé alors même que l’insuffisance des données statistiques – qui résulte notamment de l’absence d’un « Observatoire »– conduit à n’entrevoir qu’une partie très limitée du phénomène. C’est ainsi que les femmes migrantes et étrangères, qui redoutent d’être expulsées du territoire, portent rarement plainte. Ceci incarne l’intersectionnalité des discriminations fondées sur l’ethnie et le genre (Crenshaw, 1989).
Axe 3 : À la recherche de l’identité guyanaise
Du mythe du melting-pot à la dynamique de l’ethnicité : même si l’ethnicité est aujourd’hui interprétée par les sciences sociales comme une donnée dynamique qui se construit dans la mise en opposition et non comme une « propriété substantielle » (Barth, 1969), l’évaluation du poids statistique des différents groupes se heurte à de multiples obstacles. Il apparaît néanmoins que l’assimilation à la culture française, pivot de la construction identitaire des Créoles guyanais – se voit remise en question à la fin des années 1980, quand ils passent « de l’état de majorité dominée à celui de minorité dominante » (Jolivet, 1997 : 815). Dans cette perspective, la montée numérique des communautés businenge et amérindienne, exclues en un premier temps de l’accès à la citoyenneté, et l’immigration « spontanée » sont-elles toujours au centre de la « crise » identitaire qui frappe la Guyane depuis la fin des années 1990 (Piantoni, 2009) ? Quelles conséquences naissent du fait que « la guyanité se forme désormais sous le régime de la coexistence de divers ensembles ethniques » (Collomb, 1999) alors que les Créoles guyanais et le lien à l’Hexagone dominent toujours le champ politique ? Quel est le degré de pertinence de la variable socio-ethnique pour expliquer le fonctionnement de la société guyanaise ?
Suicide des jeunes Amérindiens : un déficit d’intégration ? Faut-il lire la situation des jeunes Amérindiens de l’intérieur, dont le taux de suicide serait depuis le début des années 2000 de 8 à 10 fois plus élevé que la moyenne guyanaise, comme l’indicateur d’un déséquilibre des formes de l’intégration (Durkheim, 1897) ? Comment interpréter le niveau élevé des couples mixtes (1 homme guyanais sur 2) et des naissances issues de deux parents étrangers (1 sur 3) qui révèlent une dynamique a priori favorable de l’intégration ?
Le tourisme : un marqueur identitaire ? : la société guyanaise est traversée par des processus qui fragmentent l’identité collective et menacent le lien social : intensification des dynamiques migratoires, de l’hétérogénéité socio-ethnique des populations dans un environnement économique et social précaire, contrastes croissants entre le littoral et l’intérieur. Quels nouveaux registres d’affrontement ou de revendication ont vu le jour ? Dans quelle mesure peut-on interpréter certaines formes touristiques comme un mode d’affirmation des identités menacées, au même titre que le carnaval guyanais est « lourd d’enjeux identitaires » (...) et constitue « la dernière grande manifestation collective de la culture créole » (Jolivet, 1994 : 532) ?
Conditions de soumission : les propositions d’articles, d’un maximum de 300 mots, peuvent être envoyées jusqu’au 18 février 2024, aux adresses suivantes : natacha.ordioni [at] gmail [dot] com ; gilles.leydier [at] free[dot]fr
Il est demandé aux auteur.e.s d’indiquer un titre, 5 mots-clés, et d’ajouter une courte notice biographique incluant leur discipline et leur rattachement institutionnel.
Les fichiers seront transmis au format ODT ou DOCX
Calendrier prévisionnel
18 février 2024 : date limite pour l’envoi des propositions d’articles
18 mars 2024 : retour aux auteurs sur la sélection des propositions
18 juin 2024 : envoi des manuscrits V1 (max 50000 signes)
18 juillet 2024 : retour des évaluations aux auteurs
18 septembre 2024 : envoi de la dernière version des manuscrits V2
Fin 2024 : finalisation et publication du numéro
Bibliographie indicative
Cambrézy, Luc, « Immigration et statistiques en Guyane : Une opacité contraire aux principes de bonne gouvernance », Presses de Sciences Po, n°74-75, 2015, p. 193-214.
Collomb, Gérard, « Entre ethnicité et national : A propos de la Guyane », Socio-anthropologie [En ligne], 6, 1999, consulté le 29 octobre 2023. URL : http://journals.openedition.org/socio-anthropologie/113
Géraud, Marie-Odile, « Esthétiques de l’authenticité Tourisme et Touristes chez les Hmong de Guyane française », Ethnologie française, n°32, 2002, p. 447-499.
Guyon, Stéphanie, « Des « Primitifs » aux « Autochtones » Savoirs ethnologiques et politiques publiques en Guyane de 1946 à nos jours », Genèses, n° 91, 2013, p. 49-70.
Hidair, Isabelle, « Enfants créoles haïtiens à l’école cayennaise », Diversité, n°153, 2008, p. 75-80.
Jolivet, Marie-José, « La créolisation en Guyane », Cahiers d’études africaines, vol. 37, n°148, 1997, p. 813-837.
Mam Lam Fouck, Serge, Histoire Générale de la Guyane, Cayenne, Ibis Rouge Éditions, 2002.
Ordioni, Natacha, « Introduction », in Ordioni (dir), « Altérité et diversité, une approche multidisciplinaire », Babel Civilisations, n°23, 2011, p. 7-10.
Piantoni, Frédéric, « La question migratoire en Guyane française Histoire, société et territoires », hommes & migrations, n°1298, 2009, p. 198-216.
Poutignat, Philippe et Streiff-Fenart, Jocelyne, Théories de l’ethnicité, suivi de Les groupes ethniques et leurs frontières de Frédéric Barth, Paris, PUF, 1995.
CC0-1.0 Cette annonce est mise à disposition selon les termes de la Creative Commons CC0 1.0 Universel.
Pour citer cette annonce
« La Guyane française, une société multiculturelle », Appel à contribution, Calenda, Publié le mercredi 13 décembre 2023, https://calenda.org/1116783
Page créée le vendredi 15 décembre 2023, par Webmestre.