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Appel
Date limite de soumission : vendredi 3 novembre 2023
Le premier objectif de ce dossier de la Revue internationale des études du développement est d’ordre méthodologique : le regain d’intérêt pour les archives du développement suscite des interrogations, en particulier chez les jeunes chercheur·es, quant à la façon de les identifier, de les collecter, de les utiliser, et quant à leurs limites. Le dossier offrira ainsi un ensemble de points de repère méthodologiques à qui souhaite mobiliser ces archives. Le second objectif sera de poser les premières bases d’un projet plus ambitieux d’étude des archives du développement dans une perspective à la croisée de l’« histoire connectée » et de la « sociologie historique globale ».
Coordination du numéro : Yasmina Aziki, historienne, docteure de l’Université Paris-1 Panthéon-Sorbonne, Camille Al Dabaghy, politiste et sociologue, MCF à l’Université Paris-8 Vincennes Saint-Deni, Quentin Deforge, politiste et sociologue, post-doctorant à l’Université libre de Bruxelles
Un intérêt croissant pour l’histoire du développement et ses archives
Dans le champ des études du développement, on observe depuis les années 2010 la multiplication de travaux s’inscrivant dans une perspective historique ou socio-historique (Badel, 2014 ; Calandri, 2019 ; Kott, 2011). C’est particulièrement le cas en histoire. L’émergence de l’histoire globale et celle de l’histoire des relations internationales ont permis le renouvellement d’une historiographie jusqu’ici essentiellement focalisée sur les politiques nationales de développement dans le contexte de guerre froide (Ekbladh, 2010 ; Garavini, 2019 ; Latham, 2000). Cela participe d’une approche novatrice, nécessaire pour appréhender la question du développement au plus près des réalités des pays du Sud, en dépassant le seul prisme de lecture des États, et en s’intéressant au jeu de structures intermédiaires hybrides telles que les organisations transnationales, les commissions spéciales, les groupes d’influence ou les experts (Badel, 2014 ; Frank, 2012 ; Unger, 2018). Cette tendance s’observe aussi dans d’autres disciplines des sciences sociales. Elle a notamment permis d’interroger la continuité entre l’administration coloniale et les politiques de développement à partir du cas de l’Union européenne (Dimier, 2014). À la croisée de ces disciplines, cet intérêt pour le passé du développement a également conduit à s’intéresser à la nostalgie du développement (Lachenal et Mbodj-Pouye, 2014), à sa « mémoire » (Brun et Fortuné, 2022), ou encore à la façon dont des politiques « globales » ont marqué l’histoire sociale au Sud (Daklhi & Bonnecase, 2021). En parallèle, aux frontières du champ académique, des professionnels du développement – en poste ou à la retraite – ont également cherché à restituer la mémoire des administrations et des professionnels du développement (Pacquement, 2021), contribuant à en construire leur propre récit.
Alors que des travaux fondateurs en études du développement restaient relativement silencieux sur le matériau historique utilisé (Escobar, 1995 ; Rist, 1996), cet intérêt croissant pour une perspective historique a eu, pour corollaire, la mobilisation d’une grande diversité d’archives. En histoire, cela a conduit à ouvrir les archives des organisations internationales (Herren, 2014), en les articulant parfois avec celles des pays du Sud (Aziki, 2019 ; Blanc, 2019). Dans les autres disciplines, les chercheurs et chercheuses ont eu recours à des documents qui ne sont pas des archives au sens strict (conservés, classés et inventoriés par des institutions dédiées) : des documents internes rendus publics par les organisations de développement au nom de la transparence (Schrader, 2019), des documents qui, sous le terme de « littérature grise », peuvent permettre de retracer l’évolution d’un projet (Parizet, 2016), des archives privées de diplomates et d’experts des pays du Sud (Thornton, 2021), ou encore des archives de la diplomatie étasunienne présentes sur Wikileaks (Deforge & Lemoine, 2021).
Ces pistes dessinent des horizons prometteurs pour les enquêtes à venir. D’abord, elles rendent possible un décentrement du développement dans le sillage de l’« histoire connectée » (Subrahmanyam, 2014) et de la « sociologie historique globale » (Go & Lawson, 2017). En mobilisant des archives du Sud, l’on abonde vers la proposition faite de « provincialiser » le Nord (Chakrabarty, 2006) pour saisir l’émergence du développement, comme projet politique transnational, depuis les représentations et les pratiques, les champs d’expérience et les horizons d’attente (Koselleck, 1987) des sociétés Sud. On renonce ainsi à une histoire du développement comme « diffusion de théories et pratiques du nord global au sud global » (Macekura et Manela, 2018, p.11). Ensuite, ces développements ouvrent la voie à une « nouvelle généalogie » du développement (Thornton, 2023), qui dépasserait une historiographie focalisée sur l’après-Seconde Guerre mondiale et sur la décolonisation (Unger, 2018), masquant notamment les racines coloniales du développement (Cooper, 2010). Dans une perspective moins eurocentrée, cela permet de voir en quoi certains diplomates ou experts au Sud ont été non seulement les sujets mais aussi les acteurs de la construction politique du développement (Prashad, 2008 ; Thornton, 2021). Cette diversification des matériaux permet également de faire apparaître les luttes politiques, en termes de concurrences, de négociations et de variations auxquelles a donné lieu le projet occidental du développement – par exemple la concurrence entre le projet occidental et le projet soviétique pendant la guerre froide (Westad, 2007). Enfin, et c’est là un enjeu particulièrement important de ce dossier, en considérant l’omniprésence des acteurs du développement dans les pays du Sud, dans des secteurs aussi divers que les politiques éducatives, le développement agricole ou encore la santé, l’usage de ces archives ouvre la possibilité de proposer une histoire de l’extraversion via le développement des États post-coloniaux (Bayart, 1999). Ces archives sont donc appréhendées ici comme une part d’histoire des Suds, souvent conservée au Nord, qu’il s’agit d’interroger.
Questionner la production et l’usage des archives du développement
Pourtant, jusqu’ici, ces dynamiques ne se sont accompagnées ni d’un travail réflexif, ni d’une discussion méthodologique approfondie sur ce type de matériaux (leur sélection, leur mobilisation, leurs limites), tel que cela peut être le cas, par exemple, en histoire où certains chercheurs proposent une étude critique des archives comme préalable nécessaire à leur exploitation (Anheim, 2019 ; Derrida, 1995 ; Foucault, 1969). L’objectif de ce dossier est donc de s’arrêter sur ces questions, pour permettre à ce renouveau des travaux sur le développement de s’appuyer sur un examen critique des matériaux. Ce dossier invite pour cela les contributeurs et contributrices à redéployer dans le champ des études du développement des questionnements issus de plusieurs espaces académiques. Il se fonde ainsi sur l’hypothèse selon laquelle les archives du développement, tout en se prêtant à des questionnements plus généraux, sont porteuses d’enjeux spécifiques. Ceux-ci peuvent être liés à la multiplicité des acteurs intervenants au nom du développement, à la spécificité des rapports de pouvoir Nord/Sud dans les projets de développement, notamment à la centralité des savoirs et de l’écriture dans la légitimation des asymétries qui étayent l’aide au développement, et, incidemment, au fait que certains de ces acteurs disposent de capacités financières et techniques qui leur permettent de produire, de diffuser, voire d’imposer leurs propres récits historiques du développement.
Une première manière d’aborder la question des archives du développement est de se demander quelles archives – et plus largement quels matériaux historiques – sont ou peuvent être mobilisés et, en miroir, lesquels ne sont pas mobilisés. Que faire de l’invitation déjà ancienne de la socio-anthropologie du développement à traiter « l’ensemble de la chaîne du développement » (Copans, 2011) sur le plan des archives ? Il est question ici de la multitude d’acteurs impliqués dans les politiques de développement, des sièges des agences d’aide aux terrains locaux d’intervention en passant par les bureaux et ministères des capitales Sud, des agences « commanditaires » aux populations et institutions dites « bénéficiaires » en passant par les ONG et bureaux d’études « prestataires ». À la croisée de l’appel à une « anthropologie symétrique entre développeurs et développés » (Lavigne-Delville, 2011) et de l’appel à symétriser et connecter les sources historiques, à travailler sur des archives « à parts égales » (Bertrand, 2014 ; Piton, 2022), comment croiser archives des « développeurs » (Nord et Sud) et archives des « développés » ?
Une deuxième manière d’aborder la question des archives dans l’historiographie du développement est de se demander comment celles-ci sont utilisées, ou plus précisément, comment l’analyse des conditions de production et d’accessibilité des archives peut être articulée à l’étude du développement. Si la réflexion sur l’usage des archives en science politique est stimulante (Garrigou, 1989 ; Gayon, 2016), c’est du côté de l’histoire, et de l’histoire coloniale en particulier, qu’il nous semble y avoir matière à penser. En témoignent les luttes politiques quant à l’ouverture et à la déclassification des archives charnières pour l’histoire coloniale et postcoloniale (Thénault, 2022). Au cœur de l’archival turn, l’anthropologue et historienne Ann Laura Stoler a défendu une approche ethnographique des archives coloniales comme dispositifs de production et d’authentification de savoirs incorporant et confortant des rapports de pouvoir, comme instrument de gouvernement, en opposition à une approche extractive des archives qui consiste à y prélever des noms et des événements, des faits dont on soupèse la véracité (Stoler, 2002). Cela nous invite à prendre en compte non seulement des conditions de production des documents, mais des conditions politiques et sociales de leur (non-)archivage, (non-)conservation et (non-)accessibilité (Poncet, 2019). Cela nous appelle à penser « ce que la société fait aux archives » en tant qu’elle modèle les opérations archivistiques et « ce que les archives font à la société » (Poncet, 2019), notamment en construisant des groupes sociaux, mais aussi en invisibilisant certains d’entre eux, en les privant d’un rapport écrit au passé, et en confortant ainsi plus largement des dominations – c’est le sens de la critique postcoloniale et féministe des archives (Burton, 2003 ; Joseph, 2004 ; Pouchepadass, 2008 ; Spivak, 1988). Passer « des archives comme sources aux archives comme objet » (Stoler, 2002) nous amènerait à pouvoir éclairer la « situation développementiste », dans le prolongement de la « situation coloniale », les modalités et catégories de l’exercice du pouvoir, leur évolution dans le temps, à partir des pratiques d’archivage tout au long de la chaîne de production des politiques de développement, autrement dit, à partir de la structuration et de la matérialité des archives du développement. Cette approche nous semble particulièrement prometteuse pour interroger la façon dont les acteurs du développement produisent, à travers leurs archives, une certaine mise en récit, et par conséquent une certaine représentation politique du développement. Elle permet ainsi d’interroger les rapports de pouvoir que cette mise en récit reflète et conforte (Duclert, 2015), par exemple entre organisations internationales et acteurs nationaux du développement.
Ces enjeux sont, bien entendu, à articuler avec les questionnements récents de l’historiographie africaine. On pense à celui de l’accès inégal aux sources des chercheurs et chercheuses Nord et Sud, à celui de la souveraineté des archives (Potin, 2015), celui des effets de réel créés par la constitution et l’ouverture de certains fonds. Cela nous semble particulièrement important à l’heure où la digitalisation des archives bouleverse les conditions de conservation et d’accessibilité et où certaines organisations internationales, au titre de la « transparence », numérisent et mettent en ligne une grande partie de leurs archives, entretenant et orientant la mémoire de leurs interventions dans les pays du sud (Chamelot, Hiribarren, Rodet, 2020 ; Emmerij, 2005 ; Fouéré et al., 2020). Enfin, une part importante des réflexions sur les enjeux de pouvoir relatifs aux archives coloniales (notamment Chamelot, 2019), et sur la menace d’une disparition de certaines archives (Keese & Owabira, 2020) auraient tout intérêt à être redéployées sur les archives du développement.
Axes de recherche
Pour orienter les contributions à ce dossier, nous proposons deux axes de recherche, étant entendu qu’un article pourra s’inscrire dans les deux axes.
Axe 1 – Archives du développement : production, conservation, et politisation
Production d’archives et processus d’archivage
Analyser les processus et les pratiques par lesquels les acteurs du développement produisent des archives est indispensable pour engager une réflexion sur leurs usages possibles. Comment sont collectés, triés, organisés et conservés les documents produits, reçus et collectés par ces acteurs ? Dans quelle mesure les projets et acteurs du développement font-ils l’objet de processus d’archivage spécifiques ? Qui sont les historiens, historiennes, archivistes qui prennent en charge ces processus ? Existe-t-il des entrepreneurs privés des archives ? Comment ces pratiques se confrontent-elles à la profusion de documents, en particulier depuis le développement de l’informatique ? Plus largement, est-on en train de conserver ces archives ou est-on en train de les perdre au fur et à mesure de la clôture des projets et du départ à la retraite et du décès des professionnels impliqués ? Quel rôle jouent les chercheurs et chercheuses dans la constitution des archives, à travers nos pratiques d’enquête ou de restitution, à travers nos relations avec les acteurs sociaux qui sont en demande d’archives, à travers nos relations avec les administrations productrices d’archives ou avec les administrations qui construisent, conservent et donnent accès aux archives ? Enfin, ces processus et ces pratiques d’archivage font-ils l’objet d’un traitement autonome parmi les acteurs concernés, ou sont-ils étroitement imbriqués à certains objectifs, par exemple financiers ou politiques ?
Conservation, diffusion, accès
Se pose ensuite un certain nombre de questions quant à la façon dont ces archives sont conservées et mises à disposition. Où ces archives sont-elles conservées ? Dans le cas des organisations internationales, sont-elles conservées dans les pays d’interventions ou rassemblées dans les sièges ? Dans quelle mesure les documents archivables sont-ils consultables et consultés en interne, au sein de ses organisations d’aide au développement ? Quel accès effectif les chercheurs et chercheuses du Sud ont-iels à ces archives ? Comment sont mis en place les processus de numérisation d’archives ? Comment sont opérés les choix de numérisation ? Dans quelle mesure les projets de sauvetage et numérisation d’archives africaines, sud-américaines ou asiatiques concernent-ils les politiques et projets de développement post-indépendances ? Dans quelle mesure le risque de digital imperialism redouble-t-il la domination développementiste ? Plus généralement, dans quelle mesure ces enjeux de conservation, de diffusion et d’accès, sont-ils appréhendés par les différents acteurs comme s’intégrant dans une dimension politique plus large visant à produire l’histoire du développement ?
Souveraineté, secret et politisation
Ces archives peuvent ensuite faire l’objet d’enjeux de pouvoir, entre États mais aussi entre organisations, et plus largement de processus de politisation. En quoi les acteurs du développement, Nord et Sud, utilisent-ils leurs pratiques de production, conservation et diffusion des archives pour imposer leur propre représentation politique et leur propre récit du développement ? Comment s’alimentent réciproquement labellisation des corpus d’une part et légitimation des institutions ou politiques de développement d’autre part ? Et inversement, dans quelle mesure les archives des projets de développement font-elles l’objet de secret ? Dans quelle mesure, par ailleurs, pour un État, les archives peuvent-elles être vectrices d’indépendance et de réappropriation de sa propre histoire, de sa mémoire ? Quelles sont les demandes sociales dont elles feraient l’objet ? Dans quelle mesure sont-elles considérées comme un objet de souveraineté ? Ces archives du développement font-elles l’objet d’une réflexion en termes de restitution au même titre que les archives coloniales ? De batailles mémorielles à bas bruit ? Dans quelle mesure les demandes sociales autour de ces archives permettent-elles d’éclairer les usages du développement comme levier politique ou d’influence ? Plus largement, dans quels contextes, les archives du développement deviennent-elles des objets politiques ?
Axe 2 – Archives du développement : matériaux, méthodes et réflexivité
Diversité des « archives du développement »
Les travaux recensés témoignent d’une très grande diversité de documents mobilisés : des documents issus de fonds d’archives (privées ou publiques) au sens strict du terme, mais aussi toute une documentation collectée directement auprès des acteurs qui les produisent ou les reçoivent : des documents produits par des administrations qui ne sont pas archivées ou qui ne sont pas trouvées par les chercheurs dans des archives (notamment la littérature « grise » relative aux projets de développement et politiques publiques – documents programmatiques, évaluations, comptes-rendus de réunions, etc.), des coupures de presse et des publications en ligne, des correspondances et mails, des CV, des archives orales, etc. Comment les types de traces mobilisées ont-ils évolué ? Comment l’hétérogénéité de ces matériaux est-elle appréhendée et traitée ? Dans quelle mesure ces matériaux sont-ils rendus publics après avoir été analysés ? Existe-t-il des matériaux plus légitimes que d’autres ? Dans quelle mesure l’hétérogénéité des matériaux disponibles et de la valeur qui leur est accordée contribue-t-telle à reproduire les rapports de pouvoir, par exemple entre « développeurs » et « développés » ?
Méthodes et pratiques
La recension des travaux sur le développement amène également à identifier plusieurs objectifs assignés à l’exploitation de ces archives : cartographier un espace expert, documenter un projet local, étudier un processus de circulation, un processus de négociation de projet, retracer des pratiques, carrières et groupes professionnels, saisir les catégories qui sous-tendent les politiques de développement, reconstituer l’évolution d’un paradigme d’intervention. Il s’agira ici d’objectiver les méthodes employées et de discuter de leur réplicabilité. Nous espérons aussi réfléchir à la systématisation et l’objectivation des données présentes dans ces archives. Comment exploiter rigoureusement des documents qui ne sont pas des archives au sens de l’historien (classées et inventoriées par des archivistes) ? En quoi les données issues du travail numérique des acteurs du développement ouvrent-elles la voie à de nouvelles méthodes ? Un enjeu important ici est de s’interroger et de proposer des méthodes qui puissent permettre d’objectiver la construction du développement comme projet politique. Par exemple, comment restituer les conflits et négociations entre plusieurs projets distincts ou entre plusieurs représentations politiques du développement ?
Engagement réflexif
Mais cet axe de recherche vise aussi à ouvrir une réflexion sur nos rapports plus ou moins extractifs ou ethnographiques aux archives, sur notre prise en compte de la production, de la conservation, de la logique des archives (et non pas seulement de leur contenu) dans l’analyse de nos objets de recherche. Quelles archives cherche-t-on, trouve-t-on, sélectionne-t-on et, in fine, mobilise-t-on, et pourquoi ? Existe-t-il des documents archivés que nous ne mobilisons pas, et, si oui, pourquoi ? Quels effets de réel produisent les différences de nature entre nos sources Nord et Sud ? Quels enjeux diplomatiques et stratégiques l’accès aux archives fait-il ressortir ? Dans les fonds que nous mobilisons, qu’est-ce que les logiques de tri et de classement disent de nos objets ? Quelle régularité observe-t-on sur ce qui peut être dit et qu’est-ce qui ne peut pas l’être ? De qui parle-t-on et de qui ne parle-t-on pas, mais aussi quels scribes apparaissent clairement et quels autres sont effacés ? Qu’est-ce qui fait ou ne fait pas événement ? À quoi et à qui est accordée de l’importance ? Quel régime de vérité et quel régime d’historicité s’y dessinent ? Quelles sont les micro-résistances qui affleurent ? Quels points de dissensions apparaissent ? Quel est le projet moral et politique qui est étayé par ces conventions, catégories et régularités ? Comment les chercheurs et chercheuses prennent-ils et prennent-elles part, par leur usage des archives (numérisation, mobilisation, diffusion), aux projets moraux et politiques, des « développeurs » et des « développés », Nord et Sud ? Enfin, dans quelle mesure les pratiques de recherche contribuent-elles, en fonction des archives disponibles, à reproduire les mécanismes d’invisibilisation de certains acteurs, en particulier au Sud, et plus largement à reproduire les rapports de pouvoir propres aux activités de développement ?
Propositions attendues et objectifs du dossier
À travers les différentes contributions sélectionnées, le dossier poursuivra plusieurs objectifs.
Le premier objectif est d’ordre méthodologique : le regain d’intérêt pour les archives du développement suscite des interrogations, en particulier chez les jeunes chercheur.es, quant à la façon de les identifier, de les collecter, de les utiliser, et quant à leurs limites. Le dossier offrira ainsi un ensemble de points de repère méthodologiques à qui souhaite mobiliser ces archives.
Le second objectif de ce dossier sera de poser les premières bases d’un projet plus ambitieux d’étude des archives du développement dans une perspective à la croisée de l’« histoire connectée » (Subrahmanyam, 2014) et de la « sociologie historique globale » (Go & Lawson, 2017). Étudier dans une certaine symétrie les archives entre « développeurs » et « développés », dans l’objectif par exemple de renouveler l’histoire des États post-coloniaux, nécessite en effet d’avoir une connaissance plus fine des archives existantes, et une consolidation des méthodes utilisées pour les utiliser. Cela nécessite également de savoir comment et par qui ces archives ont été constituées et dans quelle mesure elle donne la voix aux acteurs des Suds.
Enfin, ce dossier aura pour troisième objectif de nourrir une réflexion Nord-Sud quant à la conservation des archives et plus largement aux mémoires du développement. L’une des hypothèses sur lesquelles s’appuie ce dossier est en effet celle d’une asymétrie importante entre chercheurs et chercheuses des Nord et des Suds dans la possibilité d’avoir accès à ces archives, appréhendées comme une part par conséquent inaccessible de l’histoire des États et des sociétés des Suds. Ce dossier amènera à objectiver ces asymétries d’accès, et pourra permettre de poser les fondements d’un travail réflexif sur la conservation, l’accès et la possibilité d’une restitution de ces archives. Il participe donc plus généralement à nourrir un effort collectif de réflexivité sur les fondamentaux épistémologiques, méthodologiques et éthiques des sciences sociales en contexte post-colonial (Fouéré et al., 2020).
Le dossier s’inscrit dans une conception unitaire de sciences sociales. Si des propositions sont attendues en histoire, les chercheuses et chercheurs en sociologie et en science politique mobilisant des archives sont donc vivement invités à soumettre une proposition. Le dossier se prêtera également à des propositions venues de disciplines moins attendues, comme, par exemple, des économistes ou des démographes utilisant ces archives dans une approche quantitative, ou des anthropologues ayant été amenés à s’intéresser à un processus d’archivage. Le dossier cherchera à rassembler des propositions portant sur des types d’archives, d’institutions et de processus différents : archives écrites, archives orales, archives d’institutions locales, archives d’organisations internationales, archives personnelles, archives de presse, etc. L’objectif est également, dans la mesure du possible, de rassembler des contributions portant sur des aires géographies différentes, pour donner au dossier une portée à la fois globale et comparative.
Plusieurs dossiers ont été coordonnés ces dernières années qui pourront être utilisés comme références, sans pour autant avoir porté directement sur les archives du développement. On peut citer plusieurs dossiers portant sur le développement, comme dans la revue Politique africaine sur les « restes » et les « ruines » du développement (Lachenal & Mbodj-Pouye, 2014) et dans la revue Anthropologie et développement sur la « mémoire » du développement (Brun & Fortuné, 2022), et plusieurs dossiers plus généraux, dans le Journal of Global History sur les organisations internationales et la décolonisation (Muschik, 2022), dans la revue Critique internationale sur les organisations internationales comme terrain de socio-histoire de la globalisation (Kott, 2011) ou encore dans la Revue Tiers Monde sur l’écriture de l’histoire dans les pays en développement (Maurel, 2013).
Modalités de soumission des articles
Les auteur·e·s s’engagent à lire la ligne éditoriale de la Revue internationale des études du développement et s’engagent à respecter la charte éthique.
Le processus de sélection se déroule comme suit selon les dates indiquées dans le calendrier de production ci-dessous :
Envoi de la proposition d’article
Les auteur·e·s envoient un résumé, en français, anglais, ou espagnol, présentant le projet d’article en environ 4 000 signes, espaces comprises, soit environ 500 mots ou une page.
Le fichier Word du résumé, intitulé « NOM DE L’AUTEUR-Proposition-256 », comprend :
Le titre : court et précis, de 70 signes maximum (avec possibilité d’ajouter un sous-titre)
La question de recherche, le cadre théorique, le terrain étudié, les principaux résultats
Des jalons bibliographiques (hors du décompte des signes)
Un second fichier Word, intitulé « NOM DE L’AUTEUR-Infos » indique de manière exhaustive les noms et prénoms des auteur·e·s, leur discipline, statut, rattachement institutionnel, adresses courriel, l’indication de l’auteur correspondant.
Ces éléments sont indispensables à l’examen de la proposition d’article. L’adéquation de la proposition à l’appel à contributions est vérifiée par les coordinateurs·trices et la rédaction de la revue.
Envoi de l’article
Les auteur·e·s dont les propositions d’article ont été sélectionné·e·s à l’étape précédente s’engagent à envoyer une première version de leur article qui doit impérativement correspondre aux normes de la revue, indiquées à cette page : consignes aux auteurs (disponible en français, anglais, espagnol).
Les articles (de 45 000 signes environ, espaces comprises, hors résumé et bibliographie), pourront être rédigés en français, anglais ou espagnol. Ils doivent être originaux. Ils pourront toutefois avoir fait l’objet de communications à un colloque (avec actes), à condition d’être réadaptés au format exigé par la Revue internationale des études du développement.
Les articles sont alors soumis à une lecture en double-aveugle auprès de deux évaluateurs spécialistes et extérieurs à la revue.
Les références citées doivent être présentées selon le format indiqué à cette page : Normes bibliographiques (format APA).
Calendrier de production
Les auteur·e·s s’engagent à respecter le calendrier indiqué par la rédaction.
Les propositions dʼarticles sont à soumettre avant le 3 novembre 2023 à aziki chez gmail.com, al-dabaghy chez univ-paris8.fr, deforge chez ulb.be et revdev chez univ-paris1.fr
Les auteur·e·s présélectionné·e·s par les coordinateur.ice.s et le comité de rédaction seront prévenu·e·s par l’équipe de la revue la semaine du 13 novembre 2023.
Les premières versions des articles, conformes aux consignes aux auteur·e·s de la revue, seront envoyées par les auteur·e·s aux courriels précités avant le 20 janvier 2024.
Le processus d’évaluation durera quelques mois, chaque article - anonyme - sera soumis à une double lecture aveugle par des relecteurs extérieurs à la revue, experts sur le sujet traité, et la sortie en librairie de ce n° 256 2024-3 est prévue pour octobre 2024.
Page créée le vendredi 8 septembre 2023, par Webmestre.