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Appel
Date limite de soumission : mardi 30 juin 2020
Penser l’accélération
La société postrévolutionnaire est confrontée à une double interrogation à la fois permanente et fragmentée : comment penser le rapport au temps long qu’incarne le passé monarchique de la France et la projection dans un futur à la fois immédiat et lointain ? Le sentiment d’une accélération du temps tend à se confondre avec celle de l’histoire, nourrissant une réflexion partagée tant par les libéraux et les réformateurs sociaux du premier XIXe siècle, que par les socialistes et les nationalistes du second XIXe siècle. Témoin de son temps, Jules Michelet le constate dans l’Histoire du XIXe siècle : « L’allure du temps a tout à fait changé. Il a doublé le pas d’une manière étrange ». Publicistes, réformateurs, intellectuels, écrivains ont conscience du lien de cette double accélération avec l’avènement d’une modernité le plus souvent acceptée, voire souhaitée, mais parfois refusée. Car, face à des à-coups sociaux et des ruptures politiques à répétition, souvent brutales, s’exprime en réaction la nécessité d’une stabilité, d’une permanence, voire d’une résurrection du passé prérévolutionnaire, seules manières de freiner le mouvement socio-politique jugé frénétique. C’est au fond la théorie que défend Daniel Halévy en 1948 dans son Essai sur l’accélération de l’histoire. Mais dès 1835, Lamartine exprime une forme d’inquiétude face à « ce sentiment du tremblement général des choses, du vertige, de l’éblouissement universel de l’esprit humain qui croît avec trop de rapidité pour se rendre compte de sa marche même, mais qui a l’instinct d’un but nouveau, inconnu, où Dieu le mène par la voie rude et précipiteuse des catastrophes sociales » (Voyage en Orient). En définitive, un constat partagé s’impose : le temps lent des mutations a définitivement cédé la place au temps rapide des révolutions – et pas seulement politiques. Mais aussi l’idée selon laquelle aucun état social, politique, économique n’est établi durablement, car soumis en permanence à des tensions qui remettent en cause leur existence sur le temps long. Dans cette entrée, nous souhaitons donc que soient confrontées des pensées complémentaires ou contradictoires sur cette appréhension de l’accélération du temps qui, par un effet mécanique, entraînerait celle de l’histoire.
Pistes possibles
Accélération du temps et accélération de l’histoire : un couple insécable ?
La vitesse, paradigme des révolutions
La modernité au prisme de l’accélération du temps
Les modélisations du temps : continuité ou rupture, conception linéaire ou cyclique, influence des évolutions scientifiques
La vitesse vécue
La vitesse est une expérience individuelle, vécue dans un environnement social qui lui donne sens. Elle affecte l’ensemble des expériences du quotidien, modifiant les rythmes de vie, les usages sociaux. Le temps qui passe est moins affaire de conscience intérieure que de mesure, objectivée par de nouveaux outils : la montre gousset, l’agenda, etc. De nouveaux modèles s’imposent : l’« américanisation » de la vie, à la temporalité minutée et efficace, est mise au service d’un rendement capitaliste. Le sens de l’actualité, matérialisé par les multiples éditions des journaux, change le rapport au présent, instant et non durée. Enfin, la perception intime, existentielle, du passage du temps est marquée par cette accélération, subie ou volontaire, provoquant selon les cas une sensation de griserie et d’exaltation ou un sentiment de perte de maîtrise, de dépossession, qui touchent aussi bien des expériences ponctuelles que le cours de la vie dans son ensemble.
La vitesse est aussi révélatrice des appartenances et des identités, opère une classification et permet de se situer. Nombre de romans, de récits, de mémoires donnent à voir cette forme de distinction sociale qu’est le rapport à la vitesse : il devient un marqueur au même titre que l’apparence extérieure, la consommation alimentaire ou le type de logement. Aller vite, c’est appartenir à l’élite sociale : du cheval au train, de la bicyclette à l’automobile, toutes les innovations techniques demeurent réservées, plus ou moins longtemps, à une fraction réduite de la société. Pour autant, une certaine forme d’intégration sociale partagée est repérable, comme l’illustre « Le wagon de troisième classe » de Daumier : dans cette représentation de distinctions sociales marquées (les trois classes de voyageurs), au moins la vitesse constitue-t-elle une chose commune, bien que n’étant pas vécue de la même manière.
Pistes possibles
Expériences de la vitesse : du singulier au collectif
Vitesse et identité sociale : classes, âges, genres, opposition urbains/ruraux
Inscription de la vitesse dans le quotidien
Mutation des perceptions sous l’effet de la vitesse
Raccourcissement de la mémoire sociale-
Intériorisation de la vitesse (tourbillon, dépossession)
La vitesse entre temps et espace (mobilités, communications, compétitions)
En 1843, la ligne de chemin de fer Paris – Rouen est inaugurée : désormais, la métropole normande est à 4 heures de Paris. Parmi d’autres, cet exemple témoigne de la contraction de l’espace entraînée par l’accélération des déplacements grâce au progrès technique. L’évolution des communications, qu’illustre en particulier l’invention du télégraphe, d’abord à bras, puis électrique, et de la TSF, affecte également cette perception des territoires. Dans cette perspective, la vitesse devient un enjeu politique, social, économique : de la maîtrise des mobilités et des communications peut dépendre la survie d’un régime politique, mais aussi d’un secteur économique.
Parallèlement, la progressive émergence du « sportsman » aboutit à des compétitions de divers ordres (pédestre, équestre, cycliste, automobile, nautique, aéronautique, etc.) permettant de valider des records : « Citius, Altius, Fortius » (« Plus vite, plus haut, plus fort »), telle est la devise proposée par Pierre de Coubertin lors de la création du Comité international olympique en 1894.
Pistes possibles
Les vecteurs techniques de la vitesse : vapeur, électricité, télégraphe, train, TSF, avion
Géographie et anthropologie de la vitesse
L’accélération des transports et des communications ; la vitesse, nouveau régime viatique : impact sur la perception de l’espace
Sport(s) et vitesse : le temps des records ; la compétition comme métaphore du progrès
Le temps économique
Associée par Fernand Braudel au temps long, l’économie capitaliste prétend de plus en plus s’émanciper de la routine technologique, du savoir-faire ancestral, au nom d’une rationalité intégrant la vitesse comme un facteur décisif dans la production industrielle. C’est en effet la vitesse qui conditionne ce qui devient le cœur même de toute réflexion théorique et de toute innovation technique : la quête d’une productivité sans cesse accrue, facteur-clef d’un rendement augmenté et, en conséquence, de bénéfices croissants. A la vitesse de conception d’un produit, répondent la vitesse de sa fabrication et celle de sa circulation. L’invention de la mode rétrécit la durée d’existence de nombreuses productions, vestimentaires en particulier. Ici, le « vivre vite » devient le « consommer vite » et de manière massive pour assurer l’écoulement du produit en un temps record. Au bonheur des dames résume cette logique, mais plus encore L’Argent : le monde de la Bourse comme une course de vitesse à l’information, gage de juteux « coups » boursiers, ce que Balzac pointait déjà dans Le Faiseur.
Pistes possibles
Vitesse et capitalisme : une relation structurelle
De la production à la productivité : accélérer la cadence
Images de la consommation de masse : la frénésie consommatrice
L’accélération des cycles économiques : alternance expansion/crise
Cadences politiques
La rapidité de la succession des régimes politiques à partir de la Révolution se poursuit avec la Restauration. Malgré des affirmations redondantes dont témoignent les différentes constitutions qui s’enchaînent, insistant toutes sur la nécessité d’en finir avec la fuite en avant au profit d’une stabilisation pérenne, ces régimes se révèlent fragiles. Ils sont confrontés de facto à une vitesse de renouvellement qui, au regard du passé prérévolutionnaire, interroge sur les conséquences de la lente démocratisation de la société française. La démocratie serait-elle le règne du fugitif, de l’incertain, de la frénésie contestatrice ? Une marche à cadence forcée vers un but qui semble reculer en permanence ?
Pistes possibles
Les Révolutions comme accélération du temps
Fragmentation du temps politique, course aux élections, renouvellement du personnel politique
Naissance et péremption des idées et des partis
Le temps politique et le temps du législateur
Conservatisme et progressisme
« Entre deux émeutes » : le pouvoir face à la contestation, une lutte de vitesse
Poétiques de la vitesse
La perception d’une accélération de la temporalité se manifeste dans des formes artistiques qui intègrent le paradigme de la vitesse : la frénésie des vaudevilles, le tourbillon de la valse, la virtuosité instrumentale (Études d’exécution transcendante) traduisent rythmiquement ce nouveau visage de la vie moderne. Tel Van Gogh dessinant « à la vitesse de l’éclair », le geste créateur valorise l’intensité, l’ébauche contre « l’œuvre léchée ». De l’impressionnisme au futurisme, de la photographie rapide à la photographie instantanée, il s’agit de capturer l’instant. Les lecteurs, eux, se jettent sur les nouvelles à la main de la petite presse ou dévorent, le temps d’un voyage, la Bibliothèque des chemins de fer.
Pistes possibles
Genres sous le signe de la vitesse : vaudeville, reportage, romans automobiles, aéronautiques, ferroviaires, pièces à grandes machines
Écriture de la vitesse : formes brèves, style télégraphique, rythmes syncopés, fragmentation, juxtaposition, énumération
Vitesse du geste créateur, improvisation, inspiration sur le motif
Rythmes accélérés : accumulation de péripéties (roman feuilleton), ellipses, etc. Accélération des tempi musicaux, galop, valse, « musique à la vapeur », virtuosité
Architecture de l’éphémère (Expositions universelles), rapidité de la construction (essor du verre et de l’acier)
Esthétique du transitoire, beauté de la vitesse, valorisation de l’intensité
Résistances, peurs, pathologies
Dans la littérature sous toutes ses formes, y compris médico-psychologique, s’exprime un courant affirmant la crainte que l’accélération du temps ne soit pas sans effet sur les comportements sociaux, et plus précisément chez les individus fragiles. La vitesse est source d’angoisse, car contraire au besoin « naturel » de stabilité propre à l’espèce humaine : tel est le credo qui émane de ce courant.
Les enjeux sont aussi idéologiques. Dans une logique de polarisation, refuser la vitesse peut signifier choisir l’univers de la culture contre le monde des sciences. Par conservatisme, ou par humanisme, on défendra la tradition, la permanence contre la modernité. Les réfractaires à la vitesse, conservateurs de tout poil attachés aux traditions immémoriales, affirment ainsi leur singularité ou leurs choix éthiques par la résistance aux injonctions du collectif.
Pistes possibles
La vitesse comme source d’angoisse, de vertige, de pathologies (névropathies, dégénérescence)
Ralentir : les refus de la tyrannie de la vitesse
Conservatisme, nostalgie, retour au passé et éloge de la lenteur ou de l’immobilisme
Vitesse du présent et incertitude de l’avenir
Défense de la pensée, du sentiment, contre l’agitation et la déshumanisation
Le temps long des traditions contre l’accélération induite par les progrès technologiques
Modalités de contribution
Les propositions de communication (environ 2000 signes), accompagnées d’une brève notice bio-bibliographique, sont à envoyer avant le 30 juin 2020 à claire.barel-moisan chez ens-lyon.fr
L’appel à communications est ouvert à des propositions relevant de la littérature française, de la littérature comparée, de l’histoire, de la philosophie, de l’histoire des arts et de la musicologie. Dans un souci d’analyse globale des phénomènes, on privilégiera des approches transversales, plutôt que des études monographiques.
Après évaluation par le comité scientifique, la réponse sera envoyée mi-juillet.
D’éventuelles adaptations dans l’organisation du congrès seront possibles pour être en conformité avec les réglementations sanitaires qui seront en vigueur en janvier.
Comité scientifique
Claire Barel-Moisan (CNRS, ENS-Lyon)
Jean-Claude Caron (Université Clermont Auvergne)
Christèle Couleau (Université Paris 13)
José-Luis Diaz (Université Paris-Diderot)
Marie-Ange Fougère (Université de Bourgogne)
Françoise Gaillard (Université Paris-Diderot)
Émilie Pézard (Université de Poitiers)
Cécile Reynaud (École Pratique des Hautes Études)
Colloque
Du 25 au 27 janvier 2021 (Paris, Fondation Singer-Polignac)
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