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Appel
Date limite de soumission : jeudi 16 juin 2022
Largement employée à l’époque coloniale, la notion d’« arts indigènes » englobe toute production d’artefacts relevant d’une pratique « traditionnelle » autochtone. Elle exclut de fait, généralement, tout ce qui se rattache au champ des beaux-arts. Toutefois, un peintre miniaturiste comme Mohammed Racim est alors souvent placé dans une posture intermédiaire. Le périmètre de cette journée d’étude intéresse en premier lieu la première acception, mais sans s’interdire d’étudier de telles porosités au sein de la formation, de la création et de la valorisation, en lien avec le statut des créateurs.
Dans le cadre de l’exposition « Tarz. Broder au Maroc hier et aujourd’hui », qui se déroulera au musée d’Angoulême du 18 juin au 31 décembre 2022, avec une probable itinérance au Maroc dans le courant de l’année 2023, le centre de recherches en histoire de l’art - F.-G. Pariset (université Bordeaux Montaigne, UR 538) et le musée d’Angoulême ont souhaité organiser une journée d’étude portant sur les « arts indigènes » durant la période coloniale. Elle se tiendra le mardi 8 novembre 2022, à Angoulême.
Autour de 1900, différents rapports ou ouvrages dressent bilans et perspectives sur « les arts et industries indigènes »[1]. L’exposition d’art musulman organisée par Georges Marye (1842-1900) au palais de l’Industrie, en 1893, constitue de ce point de vue un jalon important car le but est d’« amener les moyens propres à provoquer [la] renaissance [des industries décoratives de l’Afrique du Nord] »[2] en revenant sur leur histoire. De nombreuses formules sont alors employées, non sans enjeux sous-jacents, pour désigner cette part importante des artefacts produits dans l’espace colonial. Des expressions telles qu’« artisanat indigène », « industries d’art indigènes », « curiosités indigènes », mais aussi « artisanat d’art », « ouvrages d’arts traditionnels », « arts populaires », peuvent être sollicitées pour qualifier et hiérarchiser des ensembles hétérogènes d’objets qui se retrouvent, de fait, infériorisés. Ce processus est d’autant plus prégnant que ces derniers sont généralement associés aux définitions d’un « art malgache » ou d’un « art tunisien », d’un « art arabe » ou d’un « art annamite », d’un « art musulman » ou d’un « art islamique », sans parler de « l’art nègre »... Autant de catégories qui excluent ou rattachent, en fonction des nécessités du moment : qu’on songe, par exemple, aux « arts indigènes d’Afrique du Nord » ou aux « arts de la France d’Outre-Mer ». Cette pluralité de termes et de catégories reflète le statut mouvant que le colonisateur entend donner aux artefacts des espaces colonisés, mais également à leurs producteurs, hommes et femmes, dans une perspective politique, artistique, éducative, historique, ethnographique ou commerciale.
La problématique des « arts indigènes » a été particulièrement traitée pour le Maghreb, notamment dans son rapport à l’architecture (Oulebsir 2004 ; Matri 2008 ; Bacha 2013 ; Saou-Dufrêne 2017). Parallèlement, la dialectique entre émergence d’une conscience patrimoniale et invention d’une tradition est au cœur du travail de Nabila Oulebsir (2004), Clara Ilham Álvarez Dopico (2018 ; 2020) et Muriel Girard (2006). Les modes d’exposition et les enjeux des discours dans la construction de ces objets ont aussi constitué une approche fondamentale (L’Estoile 2007 ; Murphy 2009 ; Labrusse 2011 ; Saou-Dufrêne 2017 ; Jarrassé 2020 ; Jarrassé et Ligner 2021).
Largement employée à l’époque coloniale, la notion d’« arts indigènes » englobe toute production d’artefacts relevant d’une pratique « traditionnelle » autochtone. Elle exclut de fait, généralement, tout ce qui se rattache au champ des beaux-arts. Toutefois, un peintre miniaturiste comme Mohammed Racim (1896-1975) est alors souvent placé dans une posture intermédiaire (Benjamin 2003 ; Orif 1988). Le périmètre de cette journée d’étude intéresse en premier lieu la première acception, mais sans s’interdire d’étudier de telles porosités au sein de la formation, de la création et de la valorisation, en lien avec le statut des créateurs.
Les processus d’invisibilisation qui touchent les producteurs dits « indigènes » nous amènent à vouloir mettre ces derniers en exergue. Qui sont-ils, de l’artisan travaillant dans une structure à ces « véritables “indépendants” » malgaches que Raymond Decary (1891-1973) signale lors de l’Exposition internationale de 1937[3] ? Les expositions favorisent leur repérage et l’étude de leur réception : à l’occasion de l’Exposition artistique de l’Afrique française, qui eut lieu à Meknès en 1952, les produits de céramistes, ferronniers, brodeurs ou tisseuses, nommément cités, sont ainsi regroupés en une « section d’arts décoratifs marocains ».
Plusieurs ouvrages ou articles sont spécifiquement dédiés aux « artisanes »[4] qui incarnent une forme de modèle d’émancipation au regard des attendus de la société coloniale. Il est intéressant, par ailleurs, de noter que les « arts indigènes féminins » – pour reprendre le titre de la plaquette que la peintre Madeleine Bunoust (1885-1974) consacre à la section correspondante du musée des Colonies[5] – constituent tant un objet spécifique qu’un référent historique comme le montre l’exemple précurseur d’Eugénie Luce (1804-1882) (Benjamin 2003 ; Rogers 2013). Ainsi s’agit-il d’interroger également l’implication de certaines métropolitaines dans leurs modalités d’action comme dans leurs motivations, en particulier féministes. La fondatrice et présidente de la Fédération féministe (1900), Pauline Savari (1859-1907), n’a-t-elle pas créé, en 1902, au sein de l’Exposition internationale des arts et métiers féminins, une section des industries algériennes et tunisiennes (Álvarez Dopico 2018) ?
Parallèlement, on ne peut négliger les acteurs, tant privés que publics, qui agissent sur la formation, la production, la valorisation et la commercialisation. Certains travaux ont, par exemple, permis de redécouvrir les initiatives des ateliers de céramique de Jacob Chemla (1858-1938) à Tunis (Chemla, Goffard, Valensi, 2015) ou ceux d’Ernest Soupireau (1853- ?) et de Langlois, père et fille, à Alger (Álvarez Dopico 2018), d’éclairer le rôle de l’Office des industries d’art indigènes du Maroc (1918) ou du service des arts indigènes (1920) (Girard 2006, Laillou 2004, Théliol 2011), sans oublier les différentes strates de l’institutionnalisation tunisienne, depuis le Laboratoire d’essais industriels et commerciaux indigènes (1913) jusqu’à l’Office des arts tunisiens (1947) (Berhouma 2020). Mais quid des écoles ou des coopératives par exemple, dont on ne connaît pas forcément tous les détails de leur organisation et dont le souci de perpétuer des traditions peut entrer en conflit avec les exigences de rentabilité du marché ? Cette histoire mérite d’être appréhendée dans le temps long. La Maison des artistes soudanais, créée par Jean-Georges Le Gall (1893-1966) et inaugurée en 1933 à Bamako, fait l’objet, après la seconde guerre mondiale, de vives critiques de la part d’ethnographes qui entendent instaurer une démarche scientifique dans les méthodes d’apprentissage et rétablir une forme d’« authenticité ».
L’institutionnalisation de l’apprentissage – que ce soit dans des écoles des beaux-arts, des écoles de dessin ou des ateliers d’arts appliqués, liés ou non aux coopératives – constitue un enjeu important. Il s’agit d’interroger leur rôle dans la transmission des savoir-faire et la définition de modèles référentiels, à l’échelle collective ou individuelle, comme d’évaluer leur impact et leur capacité à offrir de nouvelles opportunités. L’Algérien Boudjema Lamali (1890-1971), bénéficiaire d’une bourse de la manufacture de Sèvres (1914), contribue ainsi à l’essor de la céramique Safiote (1920). Cet exemple est aussi significatif des circulations existantes – de personnes et de pratiques – entre l’Algérie et le Maroc, voire de manière plus générale, entre les colonies. La question de la formation engage bien d’autres acteurs. Marc Alfred Chataud (1833-1908), l’un des fondateurs de la Société des peintres orientalistes algériens (1893) semble avoir joué un rôle dans la « rénovation » des « arts indigènes ». Il en est de même pour le Maroc, où Aline Réveillaud de Lens (1881-1925), soutenue par sa sœur, Marie-Thérèse de Lens, Suzanne Drouet-Réveillaud (1885-1970) et Marcel Vicaire (1893-1976) œuvrent au sein des ateliers aux côtés du peintre Azouaou Mammeri (1890-1954). Tous contribuent, conjointement, à l’animation de l’Association des peintres et sculpteurs du Maroc (1922-1933). La coexistence de ces différents acteurs est aussi susceptible de créer des passerelles : au sein de structures telles que les ateliers d’arts appliqués malgaches, les « indigènes » sont conduits à créer des œuvres hybridant un art traditionnel avec des modes de représentation occidentaux, posant en corollaire la problématique de l’authenticité des objets, voire du statut de leurs producteurs (Monginot 2019). Il n’est pas rare, en outre, que certains artistes – comme le fait Aly Ben Salem (1910-2001) – livrent aux Offices des modèles inspirés de leurs propres compositions (Berhouma 2020) ou se réapproprient les techniques : tels Nello Levy (1921-1992) pour la céramique ou Abdelaziz Gorgi (1928-2008) pour la tapisserie – et non sans connotation identitaire pour ce dernier dans le contexte de la montée des Indépendances. La mise en place, au niveau local et national, de récompenses telles que le « Meilleur ouvrier de la France d’Outre-Mer » dénote un souci de valoriser des parcours individuels, alors que l’échelon de l’école ou des coopératives prime généralement.
Les questions liées à la promotion, à la diffusion, à la réception des « arts indigènes » (expositions, presse, guides de voyage, livres d’art ou manuels…) relèvent du périmètre de cette journée d’étude. On peut observer de ce point de vue que les mêmes objets peuvent être présentés au sein d’événements où priment la dimension économique, telles que la foire-exposition, comme au sein d’expositions artistiques. Cette cohabitation traduit l’instabilité du statut de ces productions, tantôt parées des vertus de « l’authenticité », tantôt ravalées au rang d’une sous-production pour touristes. Loin de se résoudre aux échanges entre chaque colonie et la métropole, ces questions peuvent être envisagées au prisme d’une économie internationale dominée par la concurrence.
Si le Maghreb, en raison de l’exposition adossée, constitue un terrain d’étude privilégié, les propositions peuvent concerner tous les espaces colonisés par la France, quel que soit leur statut.
Modalités de soumission : Les propositions (350 mots au plus), accompagnées d’une courte bio-bibliographie, devront être envoyées à laurent.houssais chez u-bordeaux-montaigne.fr et marion.lagrange chez u-bordeaux-montaigne.fr au plus tard le 16 juin 2022
Les participants recevront une réponse le 24 juin 2022.
Cette journée d’études est censée donner lieu à publication, et ce après examen des manuscrits par le comité scientifique.
Comité scientifique : Mohamed-Ali Berhouma, maître assistant, Institut supérieur des beaux-arts de Nabeul, Laurent Houssais, maître de conférences, université Bordeaux Montaigne, Marion Lagrange, maîtresse de conférences, université Bordeaux Montaigne, Émilie Salaberry, directrice des musées d’Angoulême
Comité d’organisation : Laurent Houssais, maître de conférences, université Bordeaux Montaigne, Marion Lagrange, maîtresse de conférences, université Bordeaux Montaigne, Émilie Salaberry, directrice des musées d’Angoulême
Notes
[1] Jules Pillet, Les Industries d’art de la Tunisie, Paris, Gauthier-Villars, 1896 ; Émile Violard, Industries d’art indigènes en Algérie, Alger, Imprimerie Baldachino-Laronde, 1902 ; Arsène Alexandre, Réflexion sur les arts et industries d’art en Algérie, Alger, Akhbar, 1907 ; Jean Gallotti, « Les industries d’art indigène en 1913 », France-Maroc, n° 82 (septembre 1923), p. 165-168 ; n° 84 (novembre 1923), p. 205-210 ; n° 87 (février 1924), p. 23-25.
[2] Georges Marye, « Première exposition d’art musulman », 1893. Exposition d’Art musulman, Catalogue officiel, Palais de l’Industrie, Paris, Impr. A. Bellier et Cie, 1893, p. 9-15, cit. p. 12.
[3] Raymond Decary, « Madagascar », Le Monde colonial illustré, n° 173, novembre 1937, p. 273-274, cit. p. 274.
[4] Marguerite A. Bel, Les arts indigènes féminins en Algérie, Alger, s.é., [1939].
[5] Madeleine Bunoust, Musée des colonies. Section des arts indigènes féminins, Paris, G. Schlégel, 1931.
Colloque
8-9 novembre 2022 (Angoulême)
Colloque international organisé dans le cadre de l’exposition « Tarz. Broder au Maroc hier et aujourd’hui », qui se déroule au musée d’Angoulême du 18 juin au 31 décembre 2022, par le centre de recherches en histoire de l’art F.-G. Pariset (université Bordeaux Montaigne, UR 538) et le musée d’Angoulême
La colonisation a contribué à associer aux artefacts des territoires extra-européens des enjeux artistiques, identitaires, économiques ou culturels, dont la pluralité de leurs dénominations est le reflet. Le colloque se propose de traiter plus particulièrement l’impact des processus coloniaux, ou du temps colonial, dans la production et la diffusion des artefacts. Exposer les artisans et leurs savoir-faire, transmettre tout en adaptant une tradition artistique ou réévaluer les artefacts pour leur conférer des finalités spécifiques, constitueront autant d’axes de réflexion. Si le Maghreb, en raison de l’exposition adossée, constitue un terrain d’étude privilégié, le colloque s’attache à tous les espaces colonisés par la France, quel que soit leur statut.
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