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Appel
Date limite de soumission : vendredi 13 décembre 2024
Numéro thématique coordonné par Félicien Lemaire, professeur de droit public à l’Université d’Angers (France).
Sciences & Bonheur est la première revue scientifique et francophone consacrée au bonheur. Francophone, elle invite les chercheurs des différentes zones de la francophonie à se positionner sur le sujet. Pluridisciplinaire, elle accueille des spécialistes (ou scientifiques pour éviter répétition) venant de toute discipline : psychologie, sociologie, anthropologie, histoire, géographie, urbanisme, médecine, mathématiques, sciences de l’éducation, philosophie, etc. S’intéressant au bonheur et aux mesures subjectives, la revue s’attache avant tout à la façon dont les individus perçoivent, ressentent et retranscrivent un environnement, une situation ou un rapport social.
L’association des termes « peuples autochtones » et « bonheur » n’a rien d’incongru si l’on considère l’attachement généralement admis des peuples autochtones à un mode de vie fondé, sinon sur le bonheur, sur une approche éminemment fonctionnelle du bien-être dans le rapport à leur environnement. Pour autant, on ne peut que se méfier du rapprochement d’idées et de concepts qui ne traduisent que très imparfaitement les spécificités des valeurs et croyances des sociétés autochtones, des représentations du monde ou « cosmovisions », assurément différentes des modes de pensée occidentaux, mais aussi différentes d’une société autochtone à une autre. Un certain relativisme culturel s’impose, tout en n’obérant pas ce qui semble – au-delà même de la variété des écosystèmes – réunir la plupart de ces peuples (en Amérique latine, en Afrique, Asie, Océanie, mais aussi en Europe) : l’unicité du lien de tous les membres de la communauté entre eux et avec l’environnement naturel, dans une démarche qui n’est pas anthropocentrique, mais « biocentrique » voire « écocentrique ». Une approche soucieuse de la protection du vivant et de la nature où l’homme n’est plus posé au centre mais envisagé comme simple partie d’un tout.
Reste, dans ce délicat rapprochement des termes, le sens à leur accorder. Qu’entend-on par « peuples autochtones » et « bonheur » ? À défaut de définitions unanimement admises, l’entente peut s’établir autour de critères indicatifs.
Critères d’appréhension des termes
Pour les peuples autochtones, il est possible de reprendre les critères formulés par Erica-Irène Daes en 1996 dans le cadre de la Sous-Commission de lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorités qui prolongent les travaux précédents du Groupe de travail sur les peuples autochtones, notamment le rapport d’étude de José R. Martinez Cobo en 1986 (Étude du problème de la discrimination à l’encontre des populations autochtones, E/CN.4/Sub.2/1986/7 et Add.1-4). Quatre critères sont retenus pour comprendre le concept d’« autochtone » :
a) L’antériorité s’agissant de l’occupation et de l’utilisation d’un territoire donné ;
b) Le maintien volontaire d’un particularisme culturel qui peut se manifester par certains aspects de la langue, une organisation sociale, des valeurs religieuses ou spirituelles, des modes de production, des lois ou des institutions ;
c) Le sentiment d’appartenance à un groupe, ainsi que la reconnaissance par d’autres groupes ou par les autorités nationales en tant que collectivité distincte ; et
d) Le fait d’avoir été soumis, marginalisé, dépossédé, exclu ou victime de discrimination, que cela soit ou non encore le cas (Document de travail du Président-Rapporteur, Mme Erica-Irène A. Daes, sur la notion de « peuple autochtone », E/CN.4/Sub.2/AC.4/1996/2, p. 18).
Ces critères ne peuvent être considérés comme suffisants. Ainsi que l’a constaté Erica-Irène Daes, « le terme "autochtone" ne peut pas faire l’objet d’une définition précise et globale susceptible d’être appliquée de la même façon dans toutes les régions du monde. » ; et dans les divers débats qui ont réuni les représentants de peuples dans le cadre de la Commission, il est notable qu’ils considèrent eux-mêmes qu’une définition générale n’est ni nécessaire ni souhaitable, en privilégiant une approche subjectiviste. Que soit souligné, dans cette logique, le principe d’auto-identification (aussi bien de l’individu dans la revendication de son appartenance au groupe que l’affirmation propre du groupe de sa spécificité) ; ou valorisée, en lien étroit avec leur culture, l’importance de la relation à leurs territoires ou terres ancestrales (d’une certaine manière conformément à l’étymologie dérivée du grec autós et khthôn, i.e. « issu du sol même, indigène »). Dans une lecture a contrario, on ne manquera pas de signaler ce que ce dernier élément a d’utile pour discriminer les « peuples autochtones » des simples « minorités ». L’existence de minorités nationales ou religieuses dans un État n’implique pas en effet une attache à un territoire donné, même si les membres sont liés par des spécificités linguistiques et culturelles. De ces critères, il ressort que les contextes nationaux ou régionaux sont déterminants pour appréhender le statut d’autochtone.
Pour la notion de bonheur, au-delà de l’emblématique résolution 65/309 votée par l’Assemblée générale des Nations-Unies le 19 juillet 2011, « Le bonheur : vers une approche globale du développement », ce n’est que par rapprochement terminologique qu’on trouvera des biais d’analyse pour tenir compte de la polysémie du terme du point de vue théorique, mais aussi pour déterminer concrètement son contenu. Que le bonheur soit expressément ou implicitement formulé dans les dispositions constitutionnelles ou les textes législatifs mettant en œuvre des politiques publiques, il joue en effet, dans son association régulière à la notion plus fonctionnelle de bien-être, un rôle éminemment positif dans les systèmes juridiques étatiques, en s’incarnant dans les principes connexes d’« épanouissement personnel », de « dignité humaine », de « qualité de vie » ou encore de « welfare » et « buen vivir » selon les latitudes et les langues. Il apparaît comme un principe sous-jacent à des droits strictement définis : droit à la vie, respect de la vie privée, liberté de mariage, liberté de conscience, liberté d’entreprendre, liberté contractuelle et droit de propriété, ou encore droit à l’éducation, droit à la santé, droit à l’eau, droit à la sécurité alimentaire, droit à un environnement sain, etc. Ces principes intéressent les peuples autochtones dans leur recherche d’amélioration ou stabilisation de leur condition vie, et ce qui est susceptible de constituer pour eux le bien-être dans leur espace. L’augmentation des demandes contentieuses, accéléré par les dispositifs juridiques adoptés dans le cadre des constitutions nationales ainsi que des droits formulés dans les conventions régionales ou les textes spécifiques (Déclaration des Nations Unies sur les peuples autochtones du 13 septembre 2007, Déclaration américaine sur les droits des peuples autochtones adoptée le 15 juin 2016), confirment de plus en plus la déclinaison qui est faite des divers droits permettant aux peuples autochtones de satisfaire leur vie en communauté. Se trouvent ainsi reconnus leur droit de propriété, leur droit à contrôler et utiliser leur territoire et leurs ressources naturelles, leur droit de participer à la vie culturelle en ce qui concerne l’identité culturelle, l’environnement sain, le droit à l’alimentation et à l’eau, etc. De manière significative en Amérique latine, la jurisprudence s’inscrit dans la critique des politiques étatiques polarisées sur la croissance, en valorisant la conception des peuples autochtones du « buen vivir » et d’une approche biocentrique de la société.
Marges et horizons du sujet
Cette lecture compréhensive des notions ouvre un spectre assez large d’analyse. À propos des peuples autochtones, se nouent des débats autour de populations qui peuvent par certains aspects avoir vocation à intégrer la grille d’analyse.
Tel est le cas, en s’émancipant de l’approche uniquement centrée sur les « peuples indigènes » et en tenant compte (dans la ligne de l’article 1, §1 a et b de la Convention OIT 169) des « peuples tribaux » placés en situation de marginalité ou marginalisation. La reconnaissance étatique des peuples autochtones rend elle-même compte de la souplesse catégorielle, en ne les réduisant pas à ce qui est classiquement entendu sous le sceau de « Premières Nations », « Peuples premiers » ou « Peuples originaires ». Le Canada l’illustre en reconnaissant, à côté des « Indiens » et des « Inuits », aux « Métis » le statut de peuples autochtones (suivant en cela l’article 35 de la loi constitutionnelle, conforté par l’arrêt de la Cour suprême du 19/09/2003, R. c. Powley). Avec certes une histoire différente mais néanmoins le constat plus ou moins marqué dans d’autres aires géographiques de la résistance à l’acculturation, la question s’est posée en Guyane pour les communautés « Noirs marrons ». Cela suscite également l’interrogation en Amérique du sud pour certaines « communautés afro-descendantes », au regard de la place reconnue et/ou assignée.
En s’extrayant d’une lecture proprement liée à la colonisation européenne, l’étude de l’autochtonie intéresse également le continent européen, avec les Samis notamment, répartis sur différents territoires scandinaves. De même, sur le continent africain, en s’éloignant de la posture initiale communément évoquée en lien avec la colonisation (« Nous sommes tous autochtones en Afrique »), la question de l’autochtonie pour des peuples, avec des histoires, des identités et cultures spécifiques, vivant en marge de la population majoritaire a été posée en débat. Elle a fait son chemin à la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples, puis au sein de l’ONU avec en définitive une très large adoption par les États africains de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones de 2007, même si ce texte est dans le principe dépourvu de force contraignante. Des dispositions ont été adoptées pour ouvrir des droits spécifiques à ces peuples : au Burundi, au Maroc, en Afrique du Sud, en République Démocratique du Congo, au Kenya, etc., parfois au prix de contentieux retentissants (ainsi au Kenya, pour l’affirmation du statut autochtone du peuple Endorois et du peuple Ogiek).
Approche pluridisciplinaire et témoignages
L’approche pluridisciplinaire est indispensable pour rendre compte de la multiplicité des entrées d’analyse du sujet autant que des difficultés qui lui sont propres. D’abord, parce que la mise en lumière des spécificités et identités des peuples autochtones n’est en aucune façon réductible à une appréhension uniquement culturelle et sociétale en recourant exclusivement à l’approche ethnologique, anthropologique et sociologique ; pas davantage à une appréhension uniquement spatio-temporelle en sollicitant l’approche historique et/ou géographique ; ou encore à une approche plus strictement institutionnelle en se tournant vers les lectures juridiques politiques et économiques. C’est à l’évidence un complexe de données. Ensuite, parce que les liens avec les notions de bonheur et bien-être ne pourront être clarifiés qu’à travers l’échange des idées et analyses sur les expériences de pensée des peuples autochtones, sur les différentes manières de formuler ce que peut être à leurs yeux le « bonheur » ou le « bien-être ». C’est ce que valorisent les différences d’approches disciplinaires, sans omettre les témoignages des représentants autochtones, ou les contributions militantes aptes à illustrer les spécificités d’analyse.
Extension du domaine de réflexion
Un espace de réflexion plus large s’ouvre
Dans la perspective globale : le croisement des différentes analyses constitue un encouragement non seulement à approfondir le rapport des peuples autochtones au bonheur, mais aussi à mieux cerner ce qui éventuellement constitue au-delà des spécificités et différences de représentation, les socles ou piliers partagés du bonheur ou bien-être. Par analogie ou comparaison, le dialogue ainsi instruit invite à s’interroger sur les piliers du bonheur et du bien-être de toute société, autour de principes et de pratiques durables.
Dans une perspective plus restrictive, en se concentrant sur la situation de marginalisation sociale et économique des sociétés autochtones : se pose la question des effets induits ou pas sur le bonheur. Dans quelle mesure la situation de marge par rapport aux sociétés dominantes affecte-t-elle le bien-être des peuples autochtones ? Le fait de ne pas être minoritaire sur un territoire donné dispose-t-il moins à revendiquer la qualité de peuple autochtone au sein de l’État qui englobe la population ? La comparaison parfois faite entre les peuples autochtones respectifs de la Nouvelle-Calédonie et de la Polynésie française (l’une conçue comme une colonie de peuplement, l’autre pas) illustre ce questionnement. Quelles que soient les sociétés autochtones, l’idée de marge invite également à dissocier l’approche collective du bonheur des peuples autochtones et l’espace du bonheur individuel des Autochtones, dans leurs différentes dimensions : économique, psychologique, sociologique voire politique. Comment traduire le dynamisme inhérent à chaque société autochtone ? Quelle est la part permise ou pas de cheminement individuel à travers la recherche du bonheur, de disruption admise ou pas par la communauté ? Existe-t-il réellement une ontologie insécable du groupe dans le rapport à la ou les société(s) dominante(s) ?
Enfin sur le plan institutionnel : quelles sont les formes de la reconnaissance des spécificités autochtones, en lien avec le bien-être collectif de leurs communautés. L’autonomie et les mécanismes participatifs reconnus dans la Déclaration des peuples autochtones s’intègrent-ils dans les objectifs de gouvernance définis dans l’Agenda 2030 de développement durable adopté par les Nations Unies ? Se nouent-ils dans des structures informelles ou au contraire formalisées ?
Soumettre une contribution
Les contributions pourront prendre la forme d’études empiriques, de revues de la littérature, de réflexions théoriques. Elles se composent de 20 000 à 60 000 signes (incluant les espaces et les références bibliographiques). Ces contributions s’accompagnent d’un titre, d’un résumé, d’une série de trois à sept mots-clés en français et en anglais. Les recensions d’ouvrage et les résumés de thèse se composent de 6 000 à 12 000 signes (incluant les espaces et les références bibliographiques). Elles devront être présentées de manière conforme aux standards de la revue Sciences et Bonheur. Les contributions rédigées en anglais sont les bienvenues.
Lien vers les consignes de rédaction
Si vous souhaitez proposer un projet d’écriture dans le cadre de ce numéro thématique, merci de faire nous faire parvenir un résumé de 400 mots maximum de votre proposition, accompagnée d’un titre, de trois à sept mots-clés, d’une bibliographie et de vos coordonnées à edition chez sciences-et-bonheur.org pour le vendredi 13 décembre 2024 au plus tard.
Une réponse de la part du comité éditorial sera adressée sous un délai maximum de deux semaines. Les propositions qui auront été jugées pertinentes par la direction scientifique devront s’engager à fournir la version finale de leur texte pour le vendredi 23 mai 2025 au plus tard. La publication de ce numéro thématique est prévue à l’automne 2025. Néanmoins, le comité éditorial propose une mise en ligne des articles au fil de l’eau avec la possibilité d’une publication anticipée. Nous attendons vos contributions !
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Les études empiriques, les revues de la littérature et les réflexions théoriques font l’objet d’une procédure d’évaluation par au moins deux pairs selon le principe de relecture en double aveugle. Les pairs sont des membres internes et externes au comité scientifique. Les recensions d’ouvrage et les résumés de thèse font l’objet d’une relecture par les membres du comité éditorial.
À propos de la revue
Sciences et Bonheur est une revue scientifique gratuite et accessible en ligne.
En présentant et discutant différents modèles, la revue Sciences & Bonheur se veut le lieu de débats constructifs liés aux sciences du bonheur. Elle offre également une tribune aux investigations liées aux expériences variées de la « bonne vie ». Théorique, empirique mais aussi critique, elle accueille la production de savoirs sur le bonheur dans leurs dimensions philosophiques, conceptuelles, méthodologiques, épistémologiques ou sémantiques. Mais si la revue considère que le bonheur doit être étudié d’un point de vue scientifique, elle souhaite rendre accessible ses développements aux citoyens et estime qu’étant donné le sujet, l’échange et la diffusion avec la société civile sont essentiels. Elle est en ce sens « démocratique ». Ainsi les articles seront accompagnés d’un résumé de vulgarisation qui permettra d’expliquer le propos au grand public. Contrairement à bon nombre de revues, notamment les revues anglo-saxonnes dédiées au même sujet, elle est entièrement gratuite afin de permettre une diffusion non sélective.
Comité éditorial
Gaël Brulé (Haute École de Santé de Genève, Suisse), co-directeur de la publication
Laurent Sovet (Université Paris Cité | Université Gustave Eiffel, France), co-directeur de la publication
Félicien Lemaire (Université d’Angers, France), coordinateur du numéro thématique
Page créée le lundi 28 octobre 2024, par Webmestre.