Accueil ▷ Actualités ▷ Actualités
Appel
Date limite de soumission : jeudi 30 juin 2022
Organisateurs : Andrea Brazzoduro, Miriam Hernández Reyna, Sébastien Ledoux, Thaís Tanure, Sylvie Thénault
Au cours des dernières décennies, les questions mémorielles se sont multipliées à travers le monde. De la Shoah aux dictatures latino-américaines, des génocides aux premières colonisations et à l’esclavage, des guerres mondiales à la décolonisation, différents moments de l’histoire ont ainsi été objet de débats, de nouvelles pratiques et de réflexions concernant le souvenir, l’anamnèse et l’oubli au sein d’un phénomène de « mondialisation de la mémoire ». Il s’agit d’une mémoire rendue publique à travers laquelle différents acteurs cherchent à faire reconnaître leurs revendications pour, ensuite, les transformer en politiques mémorielles. Or, cette forme de mémoire est devenue une valeur cardinale pour les démocraties contemporaines.
S’il est pertinent d’interroger le phénomène mémoriel dans sa dimension globale, il est aussi intéressant de comprendre comment les différentes mobilisations et politiques mémorielles ont circulé entre des espaces et des contextes historiques variés. De surcroît, des travaux ont montré qu’il n’existe pas une seule matrice de mémoire, mais une concomitance et des influences « multidirectionnelles » entre différentes mémoires dans un cadre national ou transnational. L’articulation entre les mémoires de la Shoah et des décolonisations et du post-esclavage en est un exemple, dont l’étude a également remis en cause la notion courante de « mémoires concurrentielles ».
L’objet de cette journée d’études est d’interroger la spécificité des mémoires de passés coloniaux liés à des contextes divers. Il s’agira notamment de comprendre quels processus sociaux et politiques sont à l’origine de ces constructions mémorielles, quels en sont les vecteurs et les entrepreneurs de mémoire, en prêtant également attention aux “régimes mémoriels”, à savoir, aux mécanismes destinés à instituer du sens au passé dans l’espace social.
Que ce soit dans le cadre de la colonisation des Amériques, de l’Afrique ou de l’Asie, de l’esclavage ou des guerres de libération, les mémoires dites anticoloniales, ou plus récemment postcoloniales, se trouvent au cœur de revendications politiques et sociales multiples qu’il s’agit de décloisonner. Une des spécificités de ces mémoires semble être le surgissement du statut de « victimes ancestrales » de la part d’acteurs sociaux qui cherchent une reconnaissance, voire exigent à ce titre réparation. Cette conception va de pair avec la formulation de politiques mémorielles qui repose sur la lecture de ces passés comme des réalités traumatiques, appelant à une gestion publique de ces mêmes passés, voire à une guérison sociale à travers l’action des pouvoirs publics. Partant, deux questions sous-jacentes peuvent se poser : que signifie se remémorer un passé parfois situé dans des temps très éloignés de la période contemporaine ? Et pourquoi ces remémorations soulèvent-elles aujourd’hui des controverses particulièrement vives dans l’espace public ?
Par ailleurs, s’impose de nos jours pour ces passés coloniaux la question du pardon et des réparations. Récemment, en effet, plusieurs pays européens ont présenté des excuses historiques tandis que, de leur côté, d’anciens pays colonisés ont exigé des excuses et des mesures de réparations. À partir de l’observation de ce double mouvement contemporain qui réfute la possibilité d’une réparation par l’oubli, la question peut se poser de savoir pourquoi nous sommes conduits à penser que les passés coloniaux constituent des crimes qu’il faut pardonner et/ou réparer au temps présent. Cette interrogation peut être complétée par la suivante : quelles formes prennent ces demandes et actes de pardon/réparations selon qu’il s’agit de passés coloniaux plus ou moins lointains ?
De même, il est également nécessaire d’évoquer un élément structurant : les demandes de patrimonialisation liées aux passés coloniaux. Dans le champ des études patrimoniales, la recherche est passée depuis une trentaine d’années de l’étude du patrimoine à celle de la patrimonialisation, entendue comme le processus par lequel un collectif reconnaît le statut patrimonial à des objets matériels et immatériels avec une obligation de sauvegarde et de transmission, mais également de restitutions pour d’anciens pays colonisés. Le patrimoine, tel qu’il est conçu aujourd’hui, est devenu un outil d’acquisition de droits. Il s’agit donc d’identifier, dans le temps et dans l’espace, quels sont les acteurs, les motivations et les processus sociaux qui conduisent aux processus de patrimonialisation liés aux passés coloniaux et à l’esclavage.
En définitive, les enjeux soulevés par les mémoires des passés coloniaux et de l’esclavage sont également liés aux questions de la construction des identités (locales, régionales, nationales). Dans ce cadre, les récits sur les identités de groupe convoquent la mémoire comme une forme de narration plus sensible à la souffrance (récente et historique), tout en renvoyant à des visions souvent très homogènes, voire simplificatrices, de passés imaginés.
L’étude connectée de ces problématiques dépasse le cadre de la simple analyse des instrumentalisations du passé. Elle soulève également des interrogations relatives aux différentes épistémologies mobilisées et pose la question des limites des transferts d’interprétation d’expériences historiques a priori non comparables. Plus avant, la naissance, l’essor et les usages des politiques mémorielles concernant les différents passés coloniaux devront être interrogés. De la même manière, il est nécessaire de problématiser l’effet parfois limité d’un des principaux objectifs qui se donnent les promoteurs des politiques mémorielles : former des citoyens plus tolérants en s’appuyant sur des rappels au passé, leurs effets semblent parfois limités.
Les communications qui devront être empiriquement fondés seront plus largement l’occasion d’échanger et de clarifier la notion de “mémoire(s)” devenue aujourd’hui particulièrement polysémique avec le champ d’étude des Memory Studies qui s’est considérablement étoffé au niveau international dans une approche inter/transdisciplinaire. L’enjeu est néanmoins également disciplinaire, car cette notion est encore trop souvent appréhendée, dans la discipline historienne, dans une stricte opposition particulièrement réductrice et inopérante entre histoire et mémoire. Une telle opposition a pour effet, d’une part, de produire une délégitimation de l’enquête historienne sur cet objet d’étude se manifestant notamment par une faiblesse institutionnelle de ce champ de recherche, et, d’autre, part de nourrir une certaine confusion, en impliquant un autre registre qui est celui du rôle social de l’historien.ne intervenant en tant qu’expert.e sur un objet “mémoire” statué en problème public, comme nous l’avons vu récemment pour la guerre d’Algérie.
Ce colloque accueillera des communications orientées sur les axes suivants :
Réflexions générales autour des concepts de mémoire et patrimoine en contextes postcoloniaux. Enjeux épistémologiques relatifs à l’étude des mémoires des passés coloniaux.
Études de cas et perspectives connectées ou comparées sur des processus concrets de mise en mémoire ou de patrimonialisation.
Revendications mémorielles et questions d’identités.
Question du pardon et des réparations dans les politiques mémorielles relatives aux passés coloniaux et à l’esclavage.
Les propositions de communications peuvent être présentées en français et en anglais et devront être envoyées avant le 30 juin 2022 sous format d’un résumé de 250 à 500 mots maximum, accompagnées d’une biographie académique de 250 mots maximum, à
memoiresdespassescoloniaux chez gmail.com
Comité Scientifique
Pascale Goetschel, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Françoise Blum, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Raphaëlle Branche, Université de Paris-Nanterre
Giulia Fabbiano, Université Aix-Marseille
Johann Michel, Université de Poitiers
Mario Rufer, Universidad Autónoma Metropolitana, Mexique.
Michael Rothberg (à confirmer), University of California, Los Angeles
Myriam Cotttias, Centre National de la Recherche Scientifique
Samia Ferhat, Université Paris-Nanterre
Arnaud Nanta, Centre National de la Recherche Scientifique
Colloque
Du 6 au 8 décembre 2022 (Campus Condorcet, Paris-Aubervilliers)
Site du colloque
Lien zoom pour assister au colloque
Mardi 6 décembre
9:30 Accueil
10:00 Introduction // Andrea Brazzoduro (Università di Napoli L’Orientale/Maison française d’Oxford), Miriam Hernández Reyna (UNAM-Mexique/Université Paris 1/CHS)
Sébastien Ledoux (Paris 1/CHS/Sorbonne Université/Ehne)
Thaís Tanure (Paris 1/CHS/Labex Dynamite)
Sylvie Thénault (CNRS/CHS)
10:30 Panel I : Education, transmission Présidence de séance : Marie-Albane de Suremain (Université Paris Est Créteil/CESSMA)
Sarah Moretti (ENS Lyon/Triangle), Enseignement de l’histoire-géographie et enjeux de mémoire dans les départements d’outre-mer : une étude comparée dans les académies de Guyane et de Martinique
Mélanie Toulhoat (IHC-NOVA FCSH/IN2PAST), Éducation populaire, alphabétisation et représentations des luttes anticoloniales en Guinée-Bissau nouvellement indépendante (1974-1980)
Christelle Rabier (EHESS/Cermes3), Combler un vide mémoriel ou pédagogique ? L’expérience de l’enquête collective Mémoires coloniales de Marseille (2019-2021) à l’EHESS
14:00 Panel II : Appartenances, identités Présidente de séance : Giulia Fabbiano (Aix-Marseille Université)
Maud Delevaux (Université Paris Nanterre/IFEA), Mémoire de l’esclavage et revendication identitaire afro-péruvienne
Sarah J. Zimmerman (Western Washington University), Gendering Memory and the Politics of the Present on Gorée Island
Martino Oppizzi (École française de Rome), Une mémoire juive ou une mémoire italienne ? La mise en récit du passé colonial par les ressortissants de la communauté livournaise de Tunisie
Bhawna Khattar (Ambedkar University New Delhi), In Search of The Language of Loss. Exploring the relation between family memory and national history in postcolonial India through the perspective of families affected by the Partition
Mercredi 07 décembre
10:00 Anne Joly & Olga Vanegas-Toro (La contemporaine), Présence des mémoires des passés coloniaux dans les collections de La contemporaine
10:30 Panel III : Réparations, réconciliations Présidente de séance : Raphaëlle Branche (Université Paris Nanterre/ISP)
Jessica Balguy (EHESS/CIRESC), La réception des travaux de l’indemnité coloniale de 1849
Louise Guttin-Vindot (Sciences Po Paris), Réparer la guerre d’Algérie ? L’affaire Mohamed Garne
Yukiko Koga (Yale University), Restless Reconciliation : Reckoning with Japanese Imperial Violence in East Asia
14:00 Panel IV.1 : Patrimoine, monuments, musées Présidente de séance : Myriam Cottias (CNRS-EHESS/CIRESC)
Beatrice Falcucci (Università dell’Aquila), The former Colonial Museum in Rome : museology as a metaphor for the memory of Italian colonialism
Thaís Tanure (Université Paris 1/CHS/Labex Dynamite), La mise en mémoire d’un passé lointain : les commémorations de la conquête des Amériques à Nantes et à Rio de Janeiro (1992-2000)
15:00 Panel IV.2 : Patrimoine, monuments, musées Présidente de séance : Pascale Goetschel (Université Paris 1/CHS)
Marion Bertin (Université d’Avignon/Centre Norbert Elias), Penser un patrimoine (post)colonial : le « patrimoine kanak dispersé »
Berklee Baum (University of Oxford), Etched in Stone ? An internationally comparative analysis of how the treatment of two colonial memorials over the past century reflects evolving constructions and contestations of colonial genocide memory
Sandra Guinand, Maria Gravari-Barbas, Xinyu Li, Yue Lu (Université Paris 1), Patrimonialisation, travail mémoriel et valorisation touristique des anciennes concessions de Tianjin et Wuhan
jeudi 08 décembre
9:30 Panel V : Associations, militantisme, mobilisations Présidente de séance : Françoise Blum (CNRS/CHS)
Clémence Maillochon (Université de Haute-Alsace/EASTCO), De l’Algérie à la Polynésie française : comment concilier les mémoires du fait nucléaire et du fait colonial ?
Gianmarco Mancosu (University of London), Lieux de (post-colonial) mémoire : transnational associationism and imperial nostalgia in contemporary Italy
Tièmeni Sigankwé (Centre national d’éducation de Yaoundé), La mémoire qui ne voulait pas mourir. De l’autodafé au retour du refoulé anticolonial au Cameroun (1960-2020)
11:15 Panel VI : Relations internationales et dynamiques transnationales Présidente de séance : Audrey Célestine (Université de Lille/CERAPS)
Sahra Rausch (Justus Liebig Universität Gießen), Colonialism as a “Crime against Humanity” ? On the (im)possibility of political apologies
Yves Denéchère (Université d’Angers/TEMOS), Mémoires et histoire des déplacements d’enfants métis en France pendant et après la guerre d’Indochine
Christine Lévy (Université Bordeaux Montaigne/CRCAO), Une mémoire de genre transnationale est-elle possible : le cas du Japon et de la Corée du Sud
12:45 Discussion générale
Page créée le mardi 6 décembre 2022, par Webmestre.