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Appel
Date limite de soumission : samedi 31 août 2024
« Le projet colonial a accordé, parmi ses objectifs expansionnistes, un statut à la traduction ; ses fonctions et stratégies d’usage se sont multipliées, selon les contextes du projet et des récits contrastés. Le récit de la vie elle- même (Barthe, 1977, 79), provoquant affrontements, tensions, conflits et guerres (Mona Baker, 2018, 41), explique les manifestations du phénomène colonial qui atteint son apogée en 1938 lorsque l’Europe coloniale, avec 1,3 pour cent de la superficie, étendue pour contrôler 41 pour cent des terres habitées en Afrique, en Asie et en Amérique (Etemad, 2000, 258) ; et justifie l’adoption de la traduction comme un instrument essentiel de l’opération coloniale et ses contextes.
Une analyse diachronique de ces contextes met en lumière l’imbrication intrinsèque entre la traduction et l’entreprise coloniale, dès la phase pré-occupation, quand les missions missionnaires instrumentalisaient la traduction pour peaufiner le christianisme et dénigrer les religions ancestrales au service du projet colonial (Bandia, 2005, 959) ; Outre la traduction des références culturelles des territoires visés par l’occupation, cette démarche constituait une phase préliminaire à l’invasion militaire (Messaoudi, 2010, 1). Pendant l’occupation, la traduction s’est muée en un instrument de domination, dans la mesure où elle avait été formellement structurée au sein de l’institution militaire (Mopoho, 2001, 7). De l’oralité à la scripturalité, les cultures ancestrales ont été traduites, considérant les autochtones comme primitifs et belliqueux, dans le cadre d’une comparaison éternellement renouvelée avec la figure idéaliste de l’homme blanc, paré des vertus de la civilisation et de paix (Cheyfitz, 1991, 115). Ces opérations de traduction ont donné naissance à une stratification linguistique au sein de laquelle les idiomes des puissances coloniales ont prévalu, reléguant au second plan, voire éradiquant, les langues des populations autochtones (Boulanger et Chagnon, 2015, OIC.ca). Après l’indépendance politique des colonies, les études postcoloniales ont démontré comment la traduction était utilisée pour produire et reproduire des différences de capital symbolique et sa capacité à les transformer en différences scientifiques et économiques entre cultures productrices et consommatrices, la traduction s’est toujours érigée en institution fondamentale, servant de levier aux projets impériaux et expansionnistes, tant dans le passé que dans le présent (Baker, 44).
Les études postcoloniales ont également révélé que la traduction est une condition essentielle pour achever le militaire à travers le politique, dans un contexte de tensions entre des nations linguistiquement différentes (Baker, 43). C’est ainsi qu’elle s’est dotée de plusieurs fonctions, dont les plus importantes nous semble être la traduction comme outil d’espionnage : elle peut être représentée par la tentative de traduire le livre « des Exemples » d’Ibn Khaldun dans le contexte colonial, réalisée à la demande officielle du gouvernement français (1840-1863), dans le but de dévoiler les fragilités et les faiblesses qui minaient la population de la région (Lacoste, 1998, 9). De manière similaire, la traduction comme un projet d’identité : relevant les préférences et les valeurs des auteurs. Les traducteurs irlandais par exemple, en traduisant les textes britanniques, ont tendance à ignorer le discours dominant leur culture et à le remplacer par un discours reflétant leur propre culture, avec une fierté qui en est le reflet (Tymoczko, 1999, 82). Par ailleurs, la traduction comme un outil de résistance : se manifeste dans l’adoption par les traducteurs indiens d’une stratégie, baptisée la « traduction contre- hégémonique », permettant de transposer des œuvres anglaises dans un langage qui reflète leur propre identité culturelle, défini comme « l’anglais indiens » (ramakrishna et Nehru 2000).
La multiplicité des fonctions assignées à la traduction, dans le contexte colonial, met en lumière la responsabilité du traducteur dans la production du discours traductionnel. La théorie postcoloniale, au sens de Homi Bahbah, insiste sur « le troisième espace », permettant d’accomplir l’acte de traduction loin de la dualité du dominant et du dominé (Bahbah, 1994). De son côté, la théorie narrative, sous l’égide de Mona Baker, a mis en avant l’importance de prendre en compte la position changeante des traducteurs par rapport aux textes, aux auteurs et à l’idéologie dominante (Baker, 27). Cette perspective souligne la nécessité de considérer la façon dont ces relations évoluent et se reflètent dans le produit traduit, qu’il soit oral ou écrit.
Il semble clair que la traduction a une influence décisive sur le processus colonial, avant, pendant et après l’occupation militaire. Jusqu’en 2000, soixante-dix pour cent de la population mondiale avait un passé « colonial », soit en tant que colonisateur, soit en tant que colonisé. (Etemad, 258), et selon la relation transitive, on peut supposer que plus de soixante-dix pour cent de la population mondiale ont été touchés, et le sont peut-être encore, par le prisme de la traduction, ce qui commande une attention accrue à son sujet. D’où l’importance d’organiser un Colloque international, prenant pour point de départ l’éveil des consciences quant au rôle de la traduction dans l’érosion de la narrativité dominante « l’Occident, centre du monde », afin de débattre de la relecture de l’histoire de la traduction dans ce sillage de la décolonisation, ainsi que de la possibilité de corriger les transgressions et outre- passements historiques engendrées par les traductions à la solde du colonialisme (Medjahed, 2019, 89). Ainsi, alors que l’Algérie commémore le soixante-dixième anniversaire du déclenchement de la révolution de libération victorieuse, le colloque international se penchera sur les expériences de traduction à travers les continents, à la lumière de la théorie postcoloniale selon Homi Bahbah et de la théorie narrative selon Baker, pour tenter de comprendre comment la traduction a été mise au service du projet colonial ? Quelles sont les approches traductologiques qui ont été adoptées par les traducteurs et interprètes ? Comment le discours traductionnel a-t-il influé sur les cultures de l’occupant et l’occupé ? »
Axes du colloque
La traduction dans le projet colonial : Comment la traduction était-elle un outil stratégique omniprésent dans tous les projets coloniaux à travers l’Histoire ? Quels sont les traits distinctifs de ces stratégies ? Comment a-t-elle été utilisée pour servir ou non ce projet ?
La traduction et la relation de légitimité entre les langues : Comment a-telle façonné l’histoire complexe des interactions entre les langues des colonisateurs et celles des colonisés ? Comment a-t-elle contribué à définir, à institutionnaliser et à hiérarchiser les langues des colonisateurs et des colonisés, en créant ainsi des hiérarchies linguistiques et culturelles ? Quel est son rapport avec les processus de marginalisation, et d’extinction des langues ? Comment la traduction n’a-t-elle pas pu protéger des langues qui n’existent plus ?
Le traducteur et l’interprète dans le contexte colonial : C’est qui le traducteur et l’interprète dans ce contexte ? Comment il a été formé et employé ? Quels sont les approches translationnelles adoptées par les traducteurs en fonction de légitimité des langues et de l’authenticité des cultures ? Comment ont-ils été jugés pour leur implication ou non dans le projet colonial ? Quel est le statut social du traducteur et de l’interprète au sein du groupe d’appartenance ? Qui sont les personnalités marquantes dans le domaine de la traduction et de l’interprétation ?
Le discours traductionnel postcolonial : Quel est le degré de conscience concernant le rôle de la traduction dans la consolidation ou la remise en question de la narrativité dominante, « Le centre du monde étant l’Occident » ? Comment les traducteurs et interprètes postcoloniaux se situent-ils entre la culture d’origine et la culture colonisatrice ? Quelle est l’efficacité de la théorie narrative de Baker et de la théorie postcoloniale de Bahbah en termes de limitation et de résistance à la narrativité dominante ? Comment les traductions postcoloniales contribuent-elles à valoriser et à enrichir la culture dominée ? Quels sont les mérites des traductions postcoloniales dans la réduction de l’écart entre les cultures actives et les cultures subordonnés ?
Les résumés de communication (environ 4000 caractères, espace compris) accompagnés d’une courte bibliographie, sont à envoyer à traduction.contexte.colonial chez crasc.dz
Réception des résumés : avant le 31 Aout
Notifications d’acceptation des résumés : 8 septembre 2024
Réception des textes finaux : 8 octobre 2024 (date limite)
Colloque
3-4 novembre 2024 (Technopole USTO Bir El Djir)
Page créée le mercredi 31 juillet 2024, par Webmestre.