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Appel
Date limite de soumission : mercredi 30 juin 2021
S’interroger sur la spécificité d’une aire géographique implique une réflexion sur ses caractères communs et sur leur singularité dans un ensemble plus vaste. La F/francophonie dans l’aire indiaocéanique[1] interroge ainsi les caractéristiques principalement iliennes (Comores, Mayotte, Madagascar, Maurice, La Réunion, Rodrigues, Seychelles) et plus globalement maritimes (Djibouti, Pondichéry, Karikal, Mahé, Yanaon, Chandernagor) qui la composent. Elle sonde également les héritages à mettre en lien avec une colonisation s’étirant du XVIIème siècle au XXème siècle qui s’inscrit dans une lutte d’influence avec la Grande-Bretagne. Elle met surtout en évidence des singularités sociales et culturelles qui portent en elles des enjeux linguistiques complexes.
La francophonie indiaocéanique est ainsi fille de la colonisation et de la mission civilisatrice, des cessions et rétrocessions coloniales, des migrations et du métissage, de l’hybridation culturelle et des processus de créolisation. Si on doit le terme de francophonie au géographe Onésime Reclus qui l’emploie pour la première fois en 1883 dans un ouvrage consacré à une étude sur la France et ses colonies, son sens dépasse alors le seul cadre de la langue pour réifier également les « races européenne et francophone » qui se lancent dans l’aventure coloniale. Fortement ancrée en cette fin du XIXème siècle dans un contexte d’expression patriotique exacerbée, la volonté de franciser dans une certaine mesure les peuples colonisés semble d’autant plus probante que le prisme de la langue reflète, selon une conception coloniale déterministe, des valeurs morales et influence certaines capacités cognitives. Loin d’aboutir à une « guerre des langues » comme le suggère Jean-Louis Calvet (1997) pour les idiomes régionaux de la France métropolitaine, la politique linguistique envers les langues vernaculaires des peuples indiaocéaniques n’aboutit pas à une logique « glottophage » mais à une hiérarchisation des pratiques langagières selon les contextes.
Selon une analyse déterministe coloniale, la langue préfigure une vision du monde. Dans cette optique, l’unité linguistique serait un des facteurs essentiels de l’unité impériale. La « francité » se comprendrait avant tout par le partage d’une langue commune, capable de refléter les caractères spécifiques de l’identité coloniale française. C’est en partie ce qui motive l’action de l’Alliance française de l’île Maurice dès 1884 ou celle de Pierre Deschamps - le fondateur de la Mission laïque - lors de ses missions à La Réunion et à Madagascar à la fin du XIXème siècle. Toujours selon ce principe, la francité entérinerait la qualité de ce qui est français, une communion d’esprit autour de la langue française. Cette notion, pourtant prisée en anthropologie, en sociologie et en littérature notamment chez les spécialistes des études postcoloniales, a été d’une manière globale peu usitée par les historiens français du colonial dans l’océan Indien. Souvent reliées à la notion d’assimilation, celles de francité et de francisation sont parfois critiquées pour leur caractère trop globalisant et dogmatique si l’on considère que l’assimilation de normes culturelles n’aboutit pas à une reconnaissance de ces mêmes normes.
Les processus de décolonisation et les logiques d’intégration régionale ne remettent pas en cause le processus de francisation et la volonté de structurer une Francophonie institutionnelle. Les centres culturels, les alliances françaises et les établissements d’enseignement assurent désormais la mission de promotion de la Francophonie. Ces quelques perspectives historiques permettent de tenir compte de certains héritages et d’inscrire dans le temps des enjeux plus contemporains. Au-delà des considérations purement lexicales (F/francophonie, francisation, francité, etc.), une approche comparative et évolutive suppose de tenir compte de processus historiques qui contribuent à ajuster le sens des mots dans des pratiques sociales complexes par lesquelles transite la production de sens. C’est tout l’intérêt de la portée heuristique de l’histoire en ce qu’elle permet de faire sens des différences et des écarts avec le présent et d’inscrire l’étude de la francophonie dans un processus dynamique et complexe. L’étude de la francophonie permet également de porter la focale sur les modalités d’intégration régionale de populations qui conjuguent fragmentation territoriale, marginalisation économique, quêtes identitaires et instabilité politique (Taglioni, 2003).
Au regard de ces divers éléments de cadrage, s’intéresser à la F/francophonie dans l’océan Indien, c’est identifier d’une part ce qui la rend si singulière, à travers l’ensemble des locuteurs qui la composent dans sa diversité et son unité, et d’autre part identifier la manière dont elle évolue au milieu des langues et cultures qui la nourrissent - ou qu’elle abreuve - consciemment et/ou inconsciemment, pour se développer suivant des formes singulières et des usages tout aussi singuliers, propres à chacun des territoires plurilingues concernés.
C‘est ainsi qu’après avoir servi d’appui au développement des langues créoles, elle évolue aujourd’hui à leur côté dans un mouvement de créolisation toujours renouvelé, lié au contact des langues et des cultures. Elle emprunte aussi aux vernaculaires locaux, qu’ils soient institutionnalisés ou non, tout en les investissant dans la dynamique du développement mondialisé actuel. À ce cheminement en contact, s’ajoutent aussi, et souvent en situation de compétition, d’autres langues instituées et internationales, telles que l’anglais, l’arabe ou l’hindi. Il résulte souvent de ces rencontres, un tourbillon créatif, amenant à des formes « maillées », métissées, interlectales (Prudent, 1981), prenant vie sur des continuums linguistiques variés, notamment au sein des aires créoles, mettant à mal la conscience linguistique des locuteurs, qui revendiquent alors consciemment ou non leur manière d’exprimer leurs F/francophonie et leur(s) identité(s) sous-jacentes.
Ces pratiques « F/francophones » s’inscrivent dans des contextes très divers soumis à la place statutaire donnée au français au sein des différents espaces plurilingues qui les constituent. Le français oscille ainsi dans les lignées historiques de chaque territoire entre langue nationale (La Réunion, Mayotte), langue co-officielle (Comores, Djibouti, Madagascar, Seychelles, Djibouti), langue seconde sans statut reconnu (Maurice, Rodrigues) ou langue étrangère (Comptoirs indiens), et donne aux pratiques langagières francophones en présence diverses possibilités de développement. Cette pluralité des situations statutaires engendre un large panorama de pratiques différentes suivant les territoires, comme au sein même de chaque territoire, selon l’influence que le contexte plurilingue a sur les individus. On peut alors parler d’un « français indiaocéanique » à l’image du « français langue africaine », tel que le définissait Dumont (1990), dont les locuteurs de la zone seraient les « copropriétaires », révélant « un réel mécanisme d’appropriation du français », qui irait au-delà des « usances » qu’ils en font.
Ce mouvement d’appropriation va au-delà d’une simple mise en œuvre par les locuteurs du quotidien, se prolongeant sous des formes écrites au sein d’une littérature abondante. Il s’inscrit dans la dynamique mise en exergue au cœur du manifeste signé par 44 écrivains « Pour une “littérature monde” en français », où « la langue française serait libérée de son pacte exclusif avec la nation »[2]. La F/francophonie s’y déploie alors de manière singulière et vivace, que ce soit à Madagascar, dans les îles des Comores ou dans l’archipel des Mascareignes.
Les diverses réalités sociolinguistiques de cette F/francophonie nous amènent à nous questionner sur la manière dont l’École les prend en compte. On peut ainsi s’interroger sur la place donnée au français dans chaque système d’enseignement, entre langue vecteur des apprentissages et/ou langue objet d’apprentissage. Mais au-delà de cette distinction, se pose aussi la question de la prise en considération - ou non - des contextes plurilingues et pluriculturels et des incidences que cela peut avoir sur la didactique des disciplines et les apprentissages qui y sont liés.
L’éventail des contextes est vaste : le système scolaire en vigueur peut être le même que celui développé en France métropolitaine (Mayotte, La Réunion), ou être très influencé par les modèles mis en place par le système colonial français (Comores, Djibouti, Madagascar). Il peut s’inscrire dans la dominance britannique (Comptoirs indiens) ou se développer suivant des approches plurielles (Maurice, Rodrigues, Seychelles). Le tout forme peut-être un ensemble scolaire à considérer lui aussi comme indiaocéanique.
Axes thématiques
Cet appel à contribution concerne en priorité les axes suivants qui pourront être abordés de manière complémentaire par les auteurs :
Dimension historique et socio-historique : quels sont les héritages institutionnels, les facteurs socio-culturels, les dynamiques identitaires spécifiques à la francophonie de l’océan Indien ?
Dimension géographique : quels sont les enjeux stratégiques, les perspectives d’intégration régionale, les spécificités des sociétés indiaocéaniques ?
Dimension sociolinguistique : quelles sont les incidences sur les pratiques langagières F/francophones des locuteurs indiaocéaniques, des différents statuts donnés aux langues présentes et au français en particulier, des contacts de langues qui en résultent, des développements de créoles, des situations de communication plurilingues caractéristiques de ces territoires ?
Dimension littéraire : au cœur de quels genres littéraires et avec quelle(s) singularité(s) la F/francophonie se déploie-t-elle ?
Dimension didactique des langues : quelles sont les prises en compte (ou non) des réalités sociolinguistiques de la zone océan Indien, dans le cadre de l’enseignement / apprentissage des disciplines au sein des dynamiques éducatives mises en œuvre dans les différentes entités concernées, suivant notamment la place qu’occupe le français dans le système scolaire (langue d’enseignement, langue enseignée…) ?
Délais et modalités
L’évaluation se fera sur la base de l’article complet :
Date butoir d’envoi de la proposition d’article à rif chez univ-lyon3.fr : 30 juin 2021
Les propositions d’article de 6 000 caractères maximum (espaces compris), accompagnées d’un CV scientifique, devront faire apparaître la problématique, la méthode, le corpus ou terrain et les éléments centraux de l’argumentation.
Annonce des propositions sélectionnées : 20 juillet 2021
Date butoir d’envoi de l’article complet à rif chez univ-lyon3.fr : 15 février 2022
Les recommandations aux auteurs sont disponibles sur http://rifrancophonies.com/index.ph...
Retour des évaluations : 15 mars 2022
Réception du texte final : 15 juin 2022
Publication du numéro spécial de la Revue internationale des francophonies : 15 décembre 2022
Direction scientifique du numéro
Pierre-Éric FAGEOL, Historien, Maître de conférences, Université de La Réunion
Thierry GAILLAT, Sociolinguiste et didacticien des langues, Maître de conférences, Université de La Réunion
Page créée le mardi 20 avril 2021, par Webmestre.