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Appel
Date limite de soumission : vendredi 10 janvier 2025
Colloque organisé par Oriane Poret, Université Lyon 2 / LARHRA, Clara Langer, Université Lyon 2 - Universität Konstanz / LARHRA et Laurent Baridon, Université Lyon 2 / LARHRA
Les représentations d’animaux abondent dans l’art occidental, souvent convoquées par l’iconographie pour soutenir des interprétations symboliques des œuvres, les bêtes sont cependant rarement envisagées pour elles-mêmes par la recherche académique, malgré les nombreux appels à “regarder les animaux” (Berger, 1980). Depuis une quarantaine d’années, la place des animaux fait l’objet d’un intérêt croissant de la part des historien.ne.s et des historien.ne.s de l’art, particulièrement dans le monde anglo-saxon, et gagne progressivement du terrain dans d’autres régions, et notamment dans la recherche française. Ce regain d’attention s’inscrit dans un mouvement plus vaste de reconsidération des rapports entre humains et non-humains, mettant en lumière les multiples façons dont les animaux sont représentés, perçus et impliqués à travers l’histoire. Tandis qu’Éric Baratay reconstruit des vies animales (Baratay, 2017) et que Katie Hornstein enquête sur les raisons de la disparition des félins qui ont peuplé l’art du XIXe siècle (Hornstein, 2024), Sean Kheraj et Jennifer Bonnell (Kheraj & Bonnell, 2022) se prêtent au jeu difficile de lire les traces animales dans les archives. Dans les musées, un cheminement similaire est perceptible. Les commissaires de l’exposition Les Animaux du Roi au château de Versailles (2021), par exemple, se sont efforcés de reconstruire une ménagerie royale par le biais des œuvres. En 2023, la British Library mettait au premier plan de l’exposition Animals : Art, Science and Sound ses archives sonores du règne animal. Inspirée par les différents habitats naturels, l’exposition documentait la vie des espèces en préservant leurs voix. Des projets de recherche plus vastes sont également menés par des institutions de recherche, comme le projet Moving Animals porté par Raf de Bont à l’Université de Maastricht depuis 2019. D’autres se sont focalisés sur des familles d’animaux en particulier et leur histoire dans le temps long, notamment le projet New History of Fishes qui fut mené par le centre LUCAS de l’Université de Leyde entre 2015 et 2019 (Smith & Egmond, 2024).
Le colloque proposé s’inscrit dans cette dynamique et entend analyser les interactions interespèces visibles dans les arts visuels entre la période dite de la “révolution scientifique” et de la révolution industrielle/industrieuse : c’est-à-dire sur la période allant du milieu du XVIe siècle au début du XXe siècle. Dans la seconde moitié du XVIe siècle se produit un renouveau de la pensée sur les animaux : celui-ci s’exprime d’une part dans le domaine de l’histoire naturelle, qui s’éloigne des écrits antiques faisant office de modèles jusqu’alors, révisés par des auteurs comme Pierre Belon et Ulysse Aldrovandi ; d’autre part dans la réflexion renouvelée sur le rapport humain à ces animaux, mise au devant de la scène entre autres par Michel de Montaigne et Pierre Gassendi, ou à leur opposé René Descartes. Ces évolutions de pensées sont perceptibles dans l’art, qui rend cette nouvelle philosophie du rapport à l’animal tangible (Cohen dans Enenkel/Smith, 2007), et inscrit ces représentations dans le processus de développement scientifique. Le long XIXe siècle connaît un tournant dans l’appréhension et l’exploitation des animaux. Alors que les mouvements de protection animale s’institutionnalisent au début du siècle, avec la création de sociétés dédiées à la défense des animaux et des premières lois contre la maltraitance, un nouveau regard émerge parallèlement, centré sur l’animal-machine. Ce concept, déjà présent dans la pensée de Descartes à la période moderne, connaît une exacerbation avec le développement de la mécanisation et de la production en série, matérialisée par l’apparition des chaînes de montage, notamment dans les abattoirs. Dès lors, l’animal est perçu non seulement comme un rouage dans un système économique, mais participe aussi à la machine de guerre moderne (Baratay, 2014).
Ce colloque propose d’étudier la façon dont les artistes ont non seulement observé les animaux, ont vécu avec eux pour certains, mais leur ont également parfois attribué une agentivité. L’idée d’une relation active entre l’artiste et l’animal soulève des questions fondamentales sur le rôle des bêtes dans la production artistique. Sont-elles de simples objets d’étude, des partenaires de création, ou les actrices autonomes d’un processus plus large ? L’analyse des pratiques artistiques permet de questionner la nature du lien entre humains et non-humains, et de voir comment, dans certaines œuvres, l’animal peut être perçu comme un protagoniste capable de résister aux tentatives de réification. Loin d’être un simple reflet des rapports de pouvoir entre humains et animaux, la création artistique devient ainsi un lieu de négociation, voire de contestation, de ces rapports.
L’ambition de ce colloque est dès lors d’offrir une réflexion transversale et novatrice sur les modes d’appropriation artistiques des animaux, sans se limiter aux animaux du quotidien domestique et aux mammifères, et de dépasser les cadres traditionnels de l’histoire de l’art en interrogeant la relation entre artistes occidentaux et animaux, perçus à la fois comme compagnons de vie, comme partenaires de création, mais aussi comme acteurs sociaux et culturels. Le centrage sur l’aire culturelle restreinte de l’Occident permettra d’aborder des modes de relations particuliers aux animaux, en les situant par rapport à d’autres ontologies (Descola, 2021), et en les replaçant dans des discussions plus vastes sur les questions de circulations et de dominations exercées sur la nature. Ce faisant, il s’agira d’examiner comment les artistes se sont faits ou non l’écho des mutations profondes des rapports entre humains et animaux.
Ce colloque souhaite encourager des approches interdisciplinaires tout comme des contributions de différentes disciplines. Il s’organise pour cela autour quatre axes principaux. Les propositions de communications pourront s’inscrire dans un ou plusieurs d’entre eux. Ces axes sont indicatifs et non exclusifs, et visent à susciter des réflexions variées sur la place des animaux dans l’art et les sciences humaines/sociales. Le comité appréciera par ailleurs les propositions incluant des réflexions sur les outils de l’histoire de l’art pour traiter des questions animales.
Axe 1 : (Re)voir et (re)lire les comportements animaux
L’animal est par essence actif, animé, et mouvant, avec une volonté propre. Si cela est admis aujourd’hui (Harchi, 2024), une partie des auteurs actifs à la période moderne et en particulier la pensée cartésienne, ont remis en question cette aptitude. La perception des comportements animaux est fluctuante, ce qui exhorte à s’interroger sur la façon dont les artistes représentent les comportements animaux à travers les époques. Dans quelle mesure ces représentations reflètent-elles les discours vétérinaires, naturalistes ou zootechniques contemporains ? Certains animaux sont-ils dotés de qualités humaines ou montrés comme des entités autonomes, avec leurs propres modes de vie et comportements ? Qu’en est-il des représentations les réifiant, transformant l’animal entier ou sa matière ? Avec la “révolution scientifique”, les modes de représentation et d’appropriation de la faune se transforment, accompagnant la prolifération des ménageries. Dépassant le simple symbole ou l’accessoire décoratif, les animaux deviennent des sujets à part entière dans la culture visuelle. Les codes iconographiques empruntés aux ouvrages scientifiques sont intégrés dans les arts visuels par des figures comme Paulus Potter ou George Stubbs, individualisant progressivement les animaux dans de véritables “portraits”. Le portrait est-il alors le reflet des relations effectives avec l’animal ? Cet axe se propose dans un premier temps d’examiner comment les artistes traduisent les découvertes vis-à-vis du comportement animal dans les œuvres, et comment ces évocations s’inscrivent dans des débats scientifiques successifs. Dans un second temps, il s’agira d’étudier les éventuelles connivences interespèces décelables dans les archives visuelles ou textuelles.
Axe 2 : L’expérience animale, entre croyances et sciences
L’expérience est ici entendue dans un sens volontairement polyvalent, d’expérience par l’animal, d’expérience de l’animal, et d’expérience sur l’animal. Le corps de l’animal est le champ d’expérimentations, scientifiques ou d’ordre plus ésotérique, exploitant l’animal dans sa substance. En témoignent dès le XVIe siècle les moulages sur nature de l’allemand Wenzel Jamnitzer ou de Bernard Palissy puis au XVIIIe siècle des tableaux tels An Experiment on a Bird in the Air Pump de Joseph Wright of Derby (1768). Longtemps les animaux ont été associés à des systèmes de croyances et de superstitions et y incarnent des forces surnaturelles ou des symboles polysémiques. L’alchimie leur accorde une place de choix, faisant écho à d’autres croyances aux origines païennes. Les évolutions scientifiques et industrielles bouleversent ces paradigmes, en faisant du corps animal une source de savoirs et une source productive. Quelles sont les traces matérielles des expérimentations et expériences du/sur le corps animal dans les œuvres d’art et objets artistiques ? Comment les artistes se positionnent-ils face aux expérimentations de leurs contemporains ?
Axe 3 : De l’extraction à l’exploitation artistique
Dès les débuts de la sédentarisation, les animaux ont été intégrés dans les systèmes économiques humains, jouant un rôle central dans l’exploitation par l’élevage, la chasse, le transport ou encore le commerce d’espèces dites “exotiques”. Cette dimension extractiviste (Pouillard, 2019) – qui comprend la capture, la domestication forcée et les déplacements massifs d’animaux – est souvent négligée par l’histoire de l’art, malgré son impact profond sur les représentations artistiques. Il s’agit de s’interroger sur les stratégies mises en place pour bénéficier des ressources animales et sur les réseaux dont bénéficient les artistes, acteurs de circuits d’appropriation et de transmission d’animaux au même titre que les amateurs. Qui sont les intermédiaires (marchands, soigneurs, transporteurs…) entre animaux et artistes ? Comment la circulation forcée des animaux, leur marchandisation, et les pratiques de domestication influencent-elles leur traitement dans les représentations visuelles ? Cet axe se propose d’élargir la réflexion aux animaux réifiés après leur mort par la taxidermie et utilisés comme modèles artistiques. Les pratiques extractivistes invitent à remettre en question précisément les formes de gouvernement exercées par l’homme sur l’animal (Piazzesi, 2023). L’œuvre artistique, en ce sens, peut-elle être vue comme une forme de domination ou de collaboration ? Quelle est la part de violence opérant dans les images ?
Axe 4 : Résistances, négociations et oppositions
En regard des connivences entre artistes et animaux, ce dernier axe est l’occasion de s’intéresser aux formes de “résistances animales” visibles dans les œuvres d’art, lisibles dans les témoignages historiques, ou perceptibles dans les évolutions matérielles des objets. Face à la diversité des discussions portant sur cette question et en raison du risque d’anthropomorphisme, il s’agira de se réapproprier le terme de “résistances”, afin d’incorporer des formes plus subtiles, impliquant “une décision consciente et intentionnelle de s’opposer” (Pearson, 2015) aux ordres et aux oppressions. Par-delà les échappées, fuites ou morsures allant contre les contraintes, comment peut-on repérer, dans les œuvres, les signes de l’ennui ou de la lassitude ? Quelles communications non-humaines sont décelables dans les sources ? Que nous apprennent les réactions animales sur leur exploitation en tant que modèles ? Que nous montrent les archives, textuelles et visuelles (notamment la photographie), à propos de la réalité du traitement des animaux en tant que modèles ? Nombreux sont, par exemple, les chercheurs à lire dans le fendillement des objets en ivoire les réactions de la matière animale à la mémoire de leur exploitation ou leur réification. Par conséquent, cette section, tout comme la précédente, invite également les auteurs à présenter des travaux portant sur les animaux en tant que matériaux artistiques.
Nombreux sont les travaux académiques qui invitent les sciences humaines et sociales à remettre en question leurs méthodes et émettent la nécessité d’un changement de paradigme. Cet appel espère ainsi œuvrer pour un rapprochement des sciences et convoquer des savoirs issus de différents champs de recherche et d’horizons pluriels, conditions qui paraissent aujourd’hui indispensables pour appréhender l’existence animale (Baratay, 2010) et les questions interespèces dans les images. En rassemblant les connaissances et les compétences, le colloque souhaite délibérément ouvrir les perspectives de l’histoire de l’art à des collaborations avec d’autres champs scientifiques.
Conditions de soumission
Nous invitons les chercheur·se·s en histoire de l’art et en histoire animale, ainsi que des sciences animales et de l’éthologie, à proposer des communications qui traiteront de ces questions et ouvriront de nouvelles pistes de réflexion sur le rapport entre les animaux et la création artistique. Les propositions, individuelles ou collaboratives, sont ouvertes aux études de cas, aux approches comparatives et aux recherches en cours. Conscient de la difficulté structurelle à travailler d’après les archives tant visuelles que textuelles pour retrouver les traces animales, le comité scientifique portera une attention particulière aux méthodologies et aux propositions novatrices.
Les propositions de communication (environ 300 mots), accompagnées d’une courte bio-bibliographie, sont à envoyer avant le 10 janvier 2025à clara.langer2 chez univ-lyon2.fr et oriane.poret chez univ-lyon2.fr
Les interventions, d’une durée de 15 à 20 minutes, seront suivies d’échanges avec le public.
Calendrier
Date limite de soumission : 10 janvier 2025
Notification de la décision du comité scientifique : fin février 2025
Colloque : 21-22-23 mai 2025
Les déplacements des intervenants vers Lyon pourront être pris en charge par l’organisation dans la mesure des financements disponibles (doctorants et intervenants sans affiliation en priorité).
Le colloque pourra faire l’objet d’une publication dont la forme reste à définir.
Comité scientifique
Prof. Dr. Guillaume Cassegrain, Université Grenoble-Alpes / LARHRA
Dr. Kate Nichols, The Barber Institute of Fine Arts, University of Birmingham
Dr. Amandine Péquignot, Muséum national d’histoire naturelle / PALOC
Dr. Violette Pouillard, CNRS / LARHRA
Prof. Dr. Maurice Saß, Alanus Hochschule für Kunst und Gesellschaft, Alfter
Dr. Silvia Sebastiani, EHESS / CRH-GEHM
Colloque
Du 21 au 23 mai 2025 (Lyon)
Page créée le mardi 3 décembre 2024, par Webmestre.