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Appel
Date limite de soumission : lundi 20 janvier 2025
Colloque organisé par Julien Bouchet (UCA) et Jérome Grosclaude (UCA) à la Maison des Sciences de l’homme de Clermont-Ferrand, mardi 21 et mercredi 22 octobre 2025
« Le terme du siècle des nations et du progrès a souvent été présenté dans l’historiographie ancienne (pour prendre un exemple, l’historien Joseph Brugerette) ou plus récente (le sociologue Jean Baubérot) comme un nouveau seuil de laïcisation voire de sécularisation. La « laïcisation » désigne plusieurs dynamiques de séparation entre le religieux et le politique, même si les bornes de leurs manifestations institutionnelles et sociales ne sont pas toujours clairement lisibles ; la « sécularisation » objective quant à elle une progressive autonomisation de la société et des individus en regard des confessions religieuses ; d’aucuns ont associé ce processus au désenchantement du monde. Le théologien protestant André Gounelle ne disait pas autre chose quand, en janvier 2024, il alertait sur le fait que, dans la société actuelle, « le temps de la réflexion, de la méditation tend à disparaître ». Un lien peut être fait avec ce que Paul Tillich appelait la « dimension de la profondeur » (« the dimension of depth »)dans son The Lost Dimension in Religion (1958).De même que Tillich faisait une distinction entre la religion institutionnelle d’une part, et la religion dans un sens plus large qui constituait selon lui « la préoccupation de l’ultime » (« ultimateconcern »), André Gounelle précisait, toujours en janvier 2024 : « L’homme et la société ont acquis leur autonomie vis-à-vis des Églises, c’est acté. Il faut veiller à ce que la religion ne cherche pas à détruire cette autonomie pour établir une théocratie, où le religieux domine tout. Le religieux, en revanche, doit pouvoir interpeller, prendre la parole au sein de la société sans être d’emblée considéré comme suspect. »
La France est encore présentée comme la patrie de la « laïcité ». Ce terme n’a d’ailleurs aucun équivalent exact en anglais : le mot « laicization » désigne le fait de réduire (un clerc) à l’état laïc ou de soumettre une institution au contrôle des laïcs ; le mot rare « laicity » signifiant, lui, le fait d’être laïc, ou l’influence des laïcs. Quant au mot « secularization » – le plus fréquent des trois – qu’on utilise souvent pour tenter de traduire « laïcité », ses différents sens sont les mêmes que ceux du mot français « sécularisation » (cf. définitions de l’Oxford English Dictionary).
La laïcité peut être définie comme un environnement juridique et politique associant plusieurs libertés publiques, individuelles (la liberté de conscience) ou collectives (la liberté des cultes) et la promotion de l’égalité civile voire citoyenne, en vue de la normalisation puis de l’édulcoration de la dissension à fondement philosophique ou religieux (la fraternité). Cette thèse pétrie de nationalisme mal assimilé et de téléologie cachée ignore volontairement l’antériorité d’autres expériences comme celle du Mexique à la fin des années 1860, et la diversité des territoires français : ceux-ci hébergent en effet plusieurs situations juridiques et politiques, en particulier en terre coloniale. Dans son Empire, le Royaume-Uni est également soumis au traitement différencié de la question religieuse, alors que son évolution politique est caractérisée par une progression du pluralisme à teneur religieuse, notamment au Parlement de Londres auxquels les non-anglicans, puis les non-chrétiens et enfin les non-croyants, gagnent progressivement accès entre 1828 et 1880[1]. Dans le même temps, les Églises chrétiennes britanniques s’efforcent de s’implanter dans l’Empire, à commencer par l’Église d’Angleterre qui voit dans la création d’épiscopats coloniaux un moyen de renforcer la faction High Church dans la métropole. Les autres confessions ne sont pas en reste, ce qui donne lieu à de régulières accusations de « vol d’ouailles » (« sheep-stealing ») entre Églises chrétiennes. Au début de la colonisation, la question de savoir si les pasteurs/prêtres venus des îles Britanniques doivent évangéliser les populations locales ou se cantonner à officier auprès des colons se posera en Amérique du Nord, en Inde ou en actuelle Afrique du Sud, et donnera lieu à des frictions parmi les colonisateurs.
Quelles que soient les différences entre les deux États, le religieux fait l’objet d’un traitement récurremment central alors que les voix s’accumulent pour l’exclure de la nation ou à tout le moins (dans le cas britannique) pour le marginaliser (les radicaux, les libres penseurs, les anarchistes, plusieurs fondamentalismes chrétiens).
On souhaiterait ainsi mesurer les effets de l’accélération de la laïcisation, ou du moins du désétablissement. La séquence d’étude correspond à la fin du XIXe siècle. Ce segment correspond, pour le cas français, aux débuts de la Troisième République (1870-1940), nouvelle déclinaison républicaine, certes plurielle, qui marque nettement un saut vers la laïcisation de l’État. Le début des années 1880 et celui des années 1900 sont des séquences d’accélération de la laïcisation, particulièrement sous l’autorité des gouvernements Charles de Freycinet (1880, 1882) et Émile Combes (1902-1905). Les deux sénateurs animent une dynamique politique et modèrent un élan social qui ne peut se résumer au séparatisme avec l’Église catholique. Ces temps furent-ils contemporains de deux mutations initiées à la fin de l’époque moderne, à savoir l’émancipation individuelle et une régénération holistique nationale, les deux étant historiquement pensées de concert ?Au terme du XIXe siècle, la République a effectivement besoin de se relégaliser aux yeux de ses citoyens et du monde, plusieurs identités religieuses se déclarant alors nettement hostiles à Marianne, en tout cas au moins jusqu’au début des années 1890 : les défenseurs de la laïcité se présentaient de ce fait comme les vecteurs d’une politique de lutte contre les ultramontanismes.
Au Royaume-Uni, les débats autour de la légitimité et de la justification du statut officiel de « l’Église unie d’Angleterre et d’Irlande » (United Church of England and Ireland) provoqueront des discussions parfois incendiaires. L’insistance du mouvement d’Oxford dans les années 1830 et 1840 sur l’origine apostolique de cette confession, puis l’abolition de la position officielle de l’anglicanisme en Irlande au 1er janvier 1871, en seront des moments décisifs. Un autre élément essentiel sera la publication de De l’origine des espèces (On the Origin of Species) de Charles Darwin en novembre 1859[2]. Même si Darwin n’y abordait pas la question de l’évolution de l’homme[3], le raisonnement qu’il exposait amenait logiquement à penser que ce dernier descendait du singe. L’ouvrage, abondamment documenté, fit l’effet d’une bombe, tant il semblait s’opposer à l’idée de la toute-puissance de Dieu. Il mit dans le débat public rien de moins que la question du bien-fondé de la religion chrétienne.
Mais l’accélération de la laïcité met aussi à jour un apparent paradoxe entre des phénomènes d’individuation (la reconnaissance du libre choix en matière religieuse) et de collectivisation de l’avenir (le loyalisme en direction d’un projet politique parfois para-religieux : des idées désormais incontestables, les « serments » républicains, la foi dans l’avenir), dans un temps futuriste, à suivre François Hartog et ses régimes d’historicité, qui fait du présent l’anticipation du futur. Pour prendre un exemple connu, la création en France d’un enseignement primaire gratuit et laïque en 1881-1882 est pour le moins présenté sinon pensé comme un investissement d’avenir, émancipateur mais dans le même temps levain de citoyenneté républicaine – ce qui explique, aussi, la place de la morale dans l’enseignement scolaire. On peut faire un parallèle avec le Royaume-Uni, où les Églises qui dominaient jusque-là le domaine de l’éducation (Église d’Angleterre et, en Irlande, Église catholique) se montreront très réservées face aux lois instituant une éducation obligatoire nécessairement non-confessionnelle (quoique toute de même chrétienne) dans le dernier tiers du XIXe siècle[4].Le principe de laïcité, émergeant dans le champ des idées mais bien moins dans celui du langage (le substantif n’est utilisé en langue française qu’à partir du milieu des années 1870 et est peu présent dans échanges parlementaires jusqu’à l’Entre-deux-Guerres – la loi de 1905 ne l’emploie pas), fait lui-même apparaître une contradiction entre sa centralisation militante et son détournement à des fins politiques. En d’autres termes, si la laïcité fut à plusieurs reprises centrale dans l’agenda politique de la Troisième République, elle ne fut pas sujet à une politique en tant que telle. Le même constat s’impose au Royaume-Uni, en dehors toutefois du cas spécifique de l’Irlande. Du reste, la neutralisation des rapports entre la puissance publique et les cultes procède plus d’un encadrement règlementaire que d’une construction tangible : on ne peut ainsi parler des « grands travaux » laïques, plusieurs nouvelles formes d’iconoclasme religieux exceptées.
Nous souhaiterions ainsi caractériser, mesurer et mettre en perspective l’apparente contradiction de la centralisation politique d’un principe parfois détourné. Trois axes émergent.
Tout d’abord, le lien d’une laïcité priorisée avec l’anticléricalisme met en exergue la politisation républicaine de la laïcité. La valeur est de ce fait transformée en principe d’action publique et en déterminant d’arbitrages pour le court, le moyen et le long termes, à différentes échelles de gouvernement. En cette matière, la situation française diverge nettement de celle du Royaume-Uni dans lequel l’anticléricalisme n’est alors pas transformé en axiome, fût-il républicain ou non.
Ensuite, le lien de la laïcité légalisée avec le pluralisme républicain entraine une gestion politique et administrative de « communautés restreintes » comme les minorités religieuses en métropole ou des majorités dans l’espace colonial (l’Islam algérien). La question se posera également dans l’Empire britannique où le colonisateur pourra être réticent à s’attaquer à des pratiques intimement liées à la religion comme la polygamie en Afrique du Sud, ou les castes en Inde. Notre recherche permettra en l’espèce d’éprouver les relations entre l’État national et les communautés, à travers l’étude des contacts et interactions entre la « république » et des groupes particuliers que plusieurs républicains considèrent comme des partitions de la nation. La « république » fut dans le passé entendue, pour certains en tout cas, comme la communauté par excellence, alors que, pour d’autres, cette place était assignée à l’Église. Parfois, ce furent les mêmes personnes qui ont promu ces deux cadres en les fusionnant. Au-delà des régimes et des systèmes politiques, on définira la « république » comme un environnement dans lequel la « loi » prime sur les individus, une loi volontairement pétrie d’universalité, même si cette dernière s’adresse d’abord aux citoyens d’une communauté politique. Quant aux communautés dites « restreintes », elles se sont notamment développées en dehors de la république avant d’en être, le cas échéant, absorbées. La loi a statué voire a institué des communautés (les congrégations « autorisées » en juillet 1901), à plusieurs échelles, elle a ainsi contribué à les inventer et à les faire connaître. Cela peut paraître paradoxal en cela qu’il y a à la fois une négation d’un particularisme supposé, et l’institution de groupes spécifiques par rapport au pouvoir central. La perception des enjeux de l’inertie communautaire, soit la faible capacité à se transformer pour s’adapter, semble également importante à considérer pour penser les relations entre l’État et des parties de la société constituée et instituée par une foi : Comment le droit fait-il vivre une communauté particulière sans susciter de particularisme ? C’est la question posée par la législation canonique concernant les confréries durant la période médiévale : des fraternités chrétiennes dans une société pensée comme intégralement fraternelle. Comment un nouveau modèle de société produit de nouvelles formes de communautés restreintes, c’est-à-dire des communautés exprimant localement les caractéristiques spécifiques à un nouveau modèle universalisant ? Plus largement, comment les Églises, paroisses et divers groupes de fidèles s’adaptent-ils aux phénomènes de désétablissement voire de laïcisation ? Les logiques sont loin d’être toujours négatives : les lois anticléricales libèrent par exemple plusieurs diocèses des congrégations qui les dépassaient ; de même, la loi de Séparation autorise une plus autonome gestion administrative des circonscriptions ecclésiastiques – ce sera ainsi le cas pour l’Église d’Irlande à partir de 1871. L’Église d’Angleterre va du reste elle aussi retrouver une autonomie relative à partir des années 1850.
Le troisième axe a trait à la diffusion de la laïcité dans l’espace colonial et impérial : Marianne y est souvent Janus. Est très vite apparent l’écart entre des discours volontairement universalisants et les actes. En d’autres termes, la Marianne anticléricale est très souvent religieuse dans l’espace colonial, pour soutenir les « intérêts français », l’indice d’une non-décléricalisation de notre puissance, pour le moins en matière diplomatique. Mais que signifie en cette espèce le terme « religion », au-delà des confessions ? Si par religion on entend un dogme transformé en doctrine républicaine, des pratiques collectives et une échelle de morale, la République a sans problème transformé d’anciens vœux pieux en d’inédites promesses d’avenir républicain. Or, sur ce point, la laïcité repose sur la liberté de conscience, celle des cultes et l’égalité ; trois destins qui sont refusés aux espaces dominés.
Les échelles sociales et culturelles de la laïcité font donc émerger un impensé/able, à suivre les sources parlementaires et politiques notamment : la sécularisation.
De ce fait, au-delà des tensions entre la relation individuelle et collective, l’État moderne semble avoir toujours besoin du religieux, au-delà du projet politique. Ainsi, le projet de sécularisation politique, l’anticléricalisme, est-il un paravent ou une dynamique mêlant l’émancipation citoyenne et l’enracinement républicain ?
Les communications de 20 minutes seront données en français.
Les propositions (500 signes), accompagnées d’une présentation bio-bibliographique, sont à envoyer à julien.bouchet chez uca.fr et jerome.grosclaude chez uca.fr pour le 20 janvier 2025.
Notes
[1] Les non-conformistes obtiennent l’accès aux charges publiques (y compris, donc, les mandats parlementaires) en 1828, suivis par les Catholiques en 1829, les Juifs (en 1858) puis les non-croyants en 1888.
[2] L’ouvrage sera publié en français en 1862.
[3]Il ne le fera que dans La Descendance de l’homme (The Descent of Man) en 1871, qui sera traduit en français l’année suivante.
[4] L’éducation devient obligatoire en Écosse en 1872, en 1880 en Angleterre et au Pays de Galles, et enfin en 1892 en Irlande.
Colloque
21-22 octobre 2025 (Maison des Sciences de l’homme de Clermont-Ferrand)
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