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Appel
Date limite de soumission : samedi 30 avril 2022
Rappelons d’abord l’évidence : les populations d’Afrique subsaharienne ont toujours usé de modalités diverses, et jamais figées, de transmission du passé (Alagoa, 2006). Malgré la colonisation, de multiples formes de récits historiques, puisant à des épistémologies variées et incarnées par exemple dans les pratiques d’oralité ou dans les cultures manuscrites en langues arabes, ont existé et perduré jusqu’à aujourd’hui. Ces journées d’études proposent toutefois de revenir sur une forme spécifique de ces récits historiques, ceux liés à l’écriture de l’histoire selon une épistémologie occidentale.
Certes, lorsque se sont mises en place les sociétés coloniales entre le xixe et le xxe siècle, le double contexte de structuration de l’histoire en tant que science sociale articulée à l’exercice du pouvoir d’une part, de renforcement de la place de l’écrit et des langues européennes comme instrument de domination d’autre part, a transformé la place des acteurs africains désormais colonisés dans ces modes de transmission du passé. Reste que les Africain·e·s n’ont jamais été complètement absent·e·s des processus d’élaboration des savoirs historiques sur le continent, y compris lorsque la colonisation les a placé·e·s dans une situation de subordination à l’égard des nouveaux circuits de production des connaissances (Dulucq, 2009 ; Sibeud, 2002). Dans ce contexte, la contribution des « savoirs autochtones » aux savoirs sur l’Afrique à l’époque coloniale a été décrite de manière duale. D’un côté, on a insisté sur les logiques de confiscation et de marginalisation. De l’autre, on a pointé le rôle fondamental joué par les nombreux « informateurs indigènes », « traditionnistes lettrés » et autres « intermédiaires culturels » (Chrétien, 1988 ; Doortmont, 1993 ; Dulucq, 2006 ; Labrune-Badiane et Smith, 2018) puis, dans le cadre de l’État colonial tardif, par les premiers professionnels africains de la recherche recrutés, à des positions subalternes néanmoins, au sein des instituts de recherche mis en place dans les colonies (Jézéquel, 2011 ; Schumaker, 2001). Tous ces acteurs, tus ou reconnus, témoignent d’un mouvement simultané d’« adoption […] des normes historiographiques européennes » et d’« assimilation par les récits occidentaux de visions autochtones du passé », autant de « bricolages culturels ambigus, typiques de la situation coloniale » (Dulucq et Zytnicki, 2006 : 9-10). Cette imbrication des savoirs opère bien sûr dans un contexte de domination laissant aux acteurs africains des marges d’autonomie toujours contraintes et étroites. La remarque de Sanjay Subrahmanyam selon laquelle « même les plus idiosyncratiques des ethnologues sont incapables d’effacer totalement les traces de leurs informateurs » (cité par Dulucq et Zytnicki, 2006 : 8) n’en pourrait pas moins s’appliquer fort bien aux historien·ne·s.
Ces journées d’études visent à interroger les continuités et les ruptures entre ces mondes historiens de l’époque coloniale et ceux qui se (re)constituent après les indépendances. Pour les acteurs politiques et intellectuels d’alors, la décolonisation des structures de pouvoir et la décolonisation des savoirs fonctionnaient de concert (Ngugi wa Thiong’o, 1986). En 1957 par exemple, la revue Présence africaine fondée dix ans plus tôt et qui s’était depuis imposée comme l’une des voies privilégiées des discours panafricains et anticolonialistes (Mudimbe, 1992), publiait un article de celui qui était devenu en 1956 le premier Africain agrégé d’histoire, Joseph Ki Zerbo (Abdelmadjid, 2007). Il y défendait l’idée que l’histoire puisse être le terreau d’une « reprise de conscience des peuples négro-africains » dépossédés de leur passé depuis le xve siècle (Ki Zerbo, 1957 : 53). En décembre 1962 encore, le président du Ghana opposait dans sa conférence inaugurale au premier congrès international des africanistes les disciplines « coupables de collusion avec le colonialisme », telles l’anthropologie, et celles « appelées à devenir les sciences de l’indépendance », dont l’histoire (Sibeud, 2011 : 3). L’histoire, science sociale privilégiée des luttes de libération et premier étendard des processus de réappropriation des savoirs à partir des années 1960 ? L’affaire est à l’évidence plus complexe. L’africanisation des savoirs historiques et des conditions de leur élaboration fut certes un enjeu important. Pour autant, la position subalterne des historien·ne·s africain·e·s au sein des espaces de production et de diffusion des connaissances ne disparut pas subitement après les indépendances, ainsi qu’en attestent le retour récurrent depuis plusieurs décennies des débats autour d’une nécessaire décolonisation des savoirs africanistes (Hountondji, 2009 ; Mkandawire, 1997 ; Skinner, 1976) et les reproches formulés à l’encontre de ces mêmes savoirs africanistes élaborés sans les Africain·e·s (Pailey, 2016). Aux États-Unis, l’African Studies Association (ASA) se serait formée de telle manière à la fin des années 1950 qu’elle aurait contribué à invisibiliser les productions savantes des chercheur·se·s africain·e·s ou africain·e·s-américain·e·s, sous couvert d’objectivité et de neutralité et au risque d’une recolonisation des savoirs au profit des universitaires américains blancs en poste dans les établissements les plus prestigieux. Revenant notamment sur une crise au sein de l’association au tournant des années 1960 et 1970 lorsque ces positions hégémoniques furent contestées, sans succès, Jean Allman souligne les blocages persistants, aujourd’hui encore, au sein de l’ASA (Allman, 2019).
Pour autant, et malgré ces inégalités structurelles, depuis les indépendances, l’histoire de l’Afrique a d’abord été écrite depuis l’Afrique et par des Africain·e·s et ces historiographies africaines n’ont cessé de s’enrichir et de se renouveler (Coquery-Vidrovitch, 2006, 2013 ; Jewsiewicki et Newbury, 1985 ; Martin et West, 1999 ; Neale, 1985 ; Peterson et Macola, 2009). « Historiographies d’ailleurs » (Kouamé, 2014 ; Kouamé, Meyer et Viguier, 2020) et en même temps connectées aux savoirs et aux pratiques historiographiques globalisées du second xxie siècle et du début du xxe siècle, ces historiographies africaines ne constituent pas seulement un réservoir de connaissances en tout ou partie oubliées et qu’il faudrait remettre au centre. Ces journées ambitionnent ainsi d’interroger la structuration des mondes historiens africains postcoloniaux, dans une perspective qui ne vise pas seulement à interroger les savoirs historiques eux-mêmes mais plutôt à étudier la manière et les contextes dans lesquels ils se constituent, à partir des outils de l’histoire sociale et de l’histoire politique. De la sorte, il s’agit de penser simultanément les conditions sociales et politiques de leur élaboration et de leur invisibilisation ou, à tout le moins, de leur moindre visibilité dans l’économie générale des savoirs contemporains sur l’histoire de l’Afrique subsaharienne.
Axe 1. Saisir les trajectoires historiennes
Afin de mettre en évidence la diversité des parcours individuels et collectifs, sont notamment attendues des communications qui envisagent les historien·ne·s comme un groupe social et mettent par conséquent en œuvre une démarche prosopographique, à l’échelle d’un pays, d’une université, d’une association, d’une revue, etc. Les propositions de biographies, individuelles ou comparées, masculines comme féminines, seront également considérées avec intérêt, qu’elles concernent des figures dont les carrières s’étendent de part et d’autre de la rupture habituelle colonial/postcolonial ou des personnalités plus contemporaines, y compris encore en activité. On attend en effet que ces journées explorent à la fois la période charnière des années qui suivirent l’indépendance, lorsque se mirent progressivement en place les départements d’histoire au sein des nouvelles universités et dans le contexte des nationalismes et du panafricanisme triomphants, mais aussi l’histoire plus immédiate des mondes historiens contemporains, en décrivant les conditions actuelles d’écriture de l’histoire en Afrique subsaharienne. Dans tous les cas, les communications ne consisteront pas seulement à proposer un simple inventaire des publications ou des travaux menés par tel ou tel ou au sein de tel ou tel établissement. Elles viseront surtout à interroger la manière dont se font, parfois se défont, les trajectoires biographiques, au croisement des frontières sociales et des assignations de genre, de classe, de race, etc. qui traversent les mondes historiens comme l’ensemble des espaces sociaux.
Au sein de ces trajectoires biographiques, une attention particulière sera apportée à la formation. Aussi, au-delà des figures historiennes reconnues ou « labellisées » par une carrière académique ou l’obtention d’un diplôme de troisième cycle (doctorat ou PhD), les propositions pourront s’intéresser également aux étudiant·e·s inscrit·e·s dans un cursus d’histoire à l’université. On apprécierait tout particulièrement que des communications s’intéressent aux auteur·rice·s et aux conditions d’élaboration de savoirs historiques méconnus et pourtant d’une extraordinaire richesse : les mémoires de recherche rédigés le plus souvent à la fin des cursus de deuxième cycle dans les universités africaines (Chanson-Jabeur et Coquery-Vidrovitch, 1995, 2003). On peut tout aussi bien imaginer des interventions portant sur des carrières historiennes avortées, qu’il s’agisse d’étudiant·e·s ayant ensuite emprunté d’autres voies professionnelles (notamment dans l’administration supérieure), de parcours contraints par les difficultés matérielles et sociales ou de carrières entravées par les pouvoirs et les soubresauts politiques. Enfin, les interventions pourront porter sur ce qui se joue en périphérie des universités où se constituent les trajectoires historiennes institutionnalisées. Sont ainsi attendues des contributions sur les historien·ne·s amateur·rice·s et sur leur articulation ou non aux historien·ne·s professionnel·le·s. Explorer cette frontière amateur·rice·s/professionnel·le·s ou le moment-clé de la formation permettra d’interroger ce qui fonde les régimes de légitimité et de reconnaissance au sein des mondes historiens africains depuis les indépendances.
Axe 2. Lieux de production, espaces de diffusion
École de Dakar, d’Ibadan, de Dar es Salam ou de Makerere (Afigbo, 2006 ; Lovejoy, 1993 ; Maddox, 2019 ; Thioub, 2002) : les travaux existants se sont particulièrement attachés à identifier des traditions historiographiques propres à tel ou tel établissement, parfois à tel ou tel pays (Bernussou, 2009 ; Gayibor et Goeh-Akué, 2010 ; Nativel, 2014), et venant imprimer de leur marque les productions des historien·ne·s qui en sont issu·e·s. D’autres ont proposé des monographies, sur un temps plus ou moins long, des savoirs et des conditions de leur élaboration au sein des départements d’histoire de telle ou telle université (Dibwe dia Mwembu, 2021 ; Sicherman, 2003 ; Suremain, 2014, 2021). Tout en poursuivant dans cette voie, ces journées visent à explorer également d’autres lieux de production et espaces de diffusion des savoirs historiques : outre les universités, pourront par exemple être évoquées les revues (Eloundou et Nkada Mvondo, 2016 ; Mudimbe, 1992), les maisons d’éditions, les groupes de recherche, les associations, professionnelles ou non et qu’elles soient d’envergure internationale ou circonscrite à un pays, une université voire à une échelle strictement locale. Il s’agit bien de faire l’histoire sociale de ces institutions : qui sont celles et ceux qui les portent et y interviennent ? Comment sont-elles, précisément, institutionnalisées, c’est-à-dire reconnues comme des structures de légitimation des savoirs ? Quelles sont les tensions qui les traversent en leur sein ou dans le cadre d’oppositions ou d’affrontements, plus ou moins larvés ou explicites, les unes avec les autres ? Dans quelles conditions enfin peuvent-elles être dévaluées et perdre leur statut, voire disparaître ? Afin d’échapper à un récit linéaire et téléologique de l’histoire de ces institutions, on aimerait que soient mises en évidence des phases successives et contradictoires d’ouverture ou de rétrécissement, en termes notamment de recrutements ou de publications, au sein de ces institutions obéissant à des logiques tantôt locales, tantôt nationales, tantôt panafricaines et internationales (Thioub, 2002 : 141). De même, pour dépasser l’opposition supposée entre les historiographies francophone, anglophone ou lusophone, les contributions pourront porter sur les enjeux linguistiques qui traversent l’histoire de ces institutions et explorer tout particulièrement les possibilités d’écriture de l’histoire dans les langues d’Afrique après les indépendances.
Une attention particulière sera apportée aux échelles internationales de production et de diffusion des savoirs historiens africains. Au sein d’une sphère académique postcoloniale très largement globalisée, on pourra revenir sur les mobilités étudiantes, déjà bien explorées par les travaux existants mais pour lesquelles on pourra proposer des contributions spécifiquement consacrées aux historien·ne·s, ainsi que sur les mobilités professionnelles ultérieures à la formation, davantage délaissées par l’historiographie parce qu’elles « échappent bien souvent aux radars des États ou des organisations qui [les] organisent et qui nous ont laissé des documents d’archives » (Tarradellas et Landmeters, 2021 : 14). On apprécierait ainsi que des intervenant·e·s reviennent sur les trajectoires d’historien·ne·s africain·e·s faisant carrière à l’international, sur les échanges induits par l’institutionnalisation du statut de chercheur·se·s invité·e·s au sein des universités ou sur la participation et l’organisation des colloques et des grands congrès internationaux en Afrique depuis les années 1960. Les communications pourront aussi porter sur les grandes entreprises d’écriture collective portées par l’ambition de réécrire l’histoire de l’Afrique depuis l’Afrique. Outre la déjà bien connue Histoire générale de l’Afrique, élaborée au sein de l’UNESCO entre les années 1960 et 1990 (Maurel, 2014 ; Nordholt, 2021), les communications pourront explorer des projets concurrents ou alternatifs, concernant le continent dans son entièreté, à l’instar de l’Encyclopaedia Africana (Allman, 2013), ou une partie de celui-ci, telle la récente Histoire générale du Sénégal initiée au début des années 2010.
Axe 3. Engagements historiens, engagements politiques
En Afrique comme ailleurs, les mondes historiens ne sont pas imperméables, loin s’en faut, aux mouvements sociaux et aux luttes politiques. Les communications pourront dès lors interroger ces participations historiennes aux mobilisations sociales et politiques afin d’inscrire ces journées dans un contexte historiographique qui, depuis une dizaine d’années, explore tout particulièrement les scènes africaines postcoloniales sous l’angle des mouvements d’opposition venant nuancer l’image de régimes monolithiques au sein desquels les contestations seraient impossibles ou inexistantes. Cheikh Anta Diop est sans doute la plus connue et la plus souvent citée de ces figures (Diop, 2003 ; Fauvelle-Aymar, 1996). Il y en a d’autres qu’on aimerait voir explorées. Comment les historien·ne·s – et les étudiant·e·s en histoire – ont-ils pris part, intellectuellement et matériellement, aux mouvements révolutionnaires et contestataires des « années 1968 » en Afrique (Blum, 2014 ; Blum, Guidi et Rillon, 2016 ; Gueye, 2017) ? Quelle place occupent-elles·ils dans la structuration des idées et des réseaux militants panafricains (Boukari-Yabara, 2014) ou socialistes (Basto et al., 2021) ? Il ne s’agit pas de cerner isolément la part spécifique de ces historien·ne·s à ces différents mouvements mais de montrer comment leurs engagements s’articulent à des trajectoires académiques et biographiques, y compris lorsque certain·e·s quittent, temporairement ou définitivement, la carrière historienne au profit d’une carrière politique, au sein ou en opposition aux pouvoirs en place.
Modalités de soumission
Les propositions de communications, d’une longueur maximale de 500 mots et constituées d’un titre, d’un résumé en français ou en anglais présentant la thématique et la problématique de l’intervention et les sources mobilisées, et de quelques références bibliographiques (non comprises dans la limite de mots), sont à envoyer pour le 30 avril 2022 à florentpiton1 chez gmail.com
Les notifications d’acceptation seront adressées entre le 15 et le 30 mai 2022.
La possibilité de publier les actes de ces journées, sous forme de dossier de revue ou dans le cadre du projet d’Encyclopédie des historiographies. Afriques, Amériques, Asies (CESSMA – UMR 245) sera discutée avec les intervenant·e·s après la journée d’études.
Colloque
25-26 octobre 2022 (Paris)
Page créée le mardi 8 mars 2022, par Webmestre.