Accueil ▷ Actualités ▷ Actualités
Appel
Date limite de soumission : mardi 30 juin 2020
Colloque organisé à l’Université Grenoble Alpes (14-16 avril 2021) dans le cadre du CESICE, département Histoire des droits de l’homme, par Yves Lassard et Frédéric Charlin
Ce colloque a pour objectif de comprendre de quelle(s) manière(s) et sous quel(s) angle(s) les droits et libertés à Haïti sont pensés, garantis, appliqués et interprétés dans un système juridique complexe, marqué par la fragilité récurrente de la puissance publique. Le thème se présente à Haïti dans une configuration spécifique, tributaire d’une histoire très mouvementée. Après l’indépendance, l’État haïtien s’est construit en reproduisant partiellement des structures juridiques et politiques de l’ancienne puissance coloniale (pouvoir exécutif fort, système de déconcentration). L’identité juridique haïtienne s’est forgée sur le temps long, dans l’inspiration du droit français et l’affirmation de coutumes d’origine africaine (inspirées notamment du vaudou) remontant à l’époque coloniale. Le droit privé haïtien a puisé également dans les sources françaises en s’inspirant de la codification napoléonienne lors de l’élaboration du Code civil de 1825. Le système juridique haïtien entretient un rapport complexe aux sources de droit, notamment à l’égard de la coutume, reléguée par le monisme officiel dans une sorte de droit informel. Dans les faits, cette rigidité a entraîné la coexistence d’un ordre juridique étatique avec un ordre de régulation coutumier qui relève en grande partie de clivages sociaux. La coutume n’en est pas moins intégrée à l’ordre public, le juge de paix pouvant statuer sur le fondement des codes ou des coutumes.
L’historien du droit et le politiste peuvent contribuer à renouveler la manière de penser les droits et libertés et leur effectivité dans une société postcoloniale qui souffre d’un manque de cohésion. Toute la difficulté de penser, garantir et appliquer la loi au sens large à Haïti réside dans un rapport complexe et délicat entre le droit et le pouvoir. La fragilité de l’État haïtien tient à ce que le droit ne parvient pas toujours à canaliser la force du pouvoir politique, longtemps marqué par un esprit patrimonial et quasi-féodal. Il conviendrait ainsi d’envisager le contenu et le régime des droits et libertés à travers la manière dont ils sont énoncés, voire « codifiés » dans les constitutions haïtiennes successives, afin de donner plus de profondeur à la confrontation entre le droit formel et le droit vivant (coutumes, usages) en fonction des sujets de communication qui seront proposés, dans le prolongement des travaux déjà consacrés à Haïti (cf. bibliographie indicative).
L’histoire de la garantie constitutionnelle des droits et libertés à Haïti semble faire l’objet d’une césure en 1843 : la première moitié du XIXe siècle est globalement plutôt une période d’octroi des droits dans un autoritarisme postcolonial, la période suivante voyant l’émergence plus ou moins marquée d’une volonté de garantie des droits, qui se referme avec l’occupation américaine (1915-1934), laquelle soulève d’importantes questions dans un contexte troublé par des révoltes porteuses de revendications (Manifeste de Charlemagne Péralte, révolte des Cacos), dont la portée symbolique est à remettre en perspective dans l’histoire des Caraïbes.
Parmi les thèmes à approfondir, le « paternalisme » constitutionnel tiendra sans doute une place importante, afin de mieux cerner le rôle historique de l’armée comme gardienne de la norme suprême, fondement parmi d’autres du premier constitutionnalisme latino-américain (Bolivar est passé par Haïti en 1815-1816). L’esprit féodal des premières constitutions haïtiennes serait un autre sujet qu’il faudrait envisager à travers le « pacte de famille » et l’idée d’une souveraineté des représentants concurrente de la souveraineté du peuple, dans un contexte propice au morcellement du pouvoir.
La jeune république haïtienne est marquée aussi par la patrimonialité des fonctions publiques, ce qui pourrait susciter une réflexion comparée avec la vénalité des charges dans l’Ancien Régime, véritable repoussoir pour les constituants français. C’est aussi la question de la portée symbolique de la constitution de 1843 (en grande partie inappliquée, mais souvent prise pour modèle par les constituants haïtiens) dans le libéralisme haïtien qui pourra être redécouverte sous les angles juridique et sociologique.
Une approche renouvelée du problème historique de la propriété serait intéressante, l’État haïtien entretenant un rapport contrarié à la propriété dans le sillage de la lutte anticoloniale. Le conflit diplomatique séculaire l’opposant à la France sur le paiement de l’indemnité de 1825 (reposant sur le principe d’une compensation du préjudice causé aux anciens colons esclavagistes) n’a-t-il pas laissé des traces dans la conception de la propriété individuelle, à travers la conscience collective locale d’une indépendance « monnayée » sous la forme d’une dette publique colossale pour la jeune république ?
Le droit de la famille, qui oscille entre libéralisme et conservatisme, aura toute sa place dans le colloque et pourra se décliner en divers sujets de communication (par exemple sur le droit de plaçage, ainsi que sur les questions d’état civil). Les questions de droit civil permettront aussi de mieux cerner le rapport complexe entre droit écrit et coutumes à travers la jurisprudence ou encore le contentieux administratif, dès lors que les droits et libertés sont en jeu, directement ou non.
L’effectivité de la liberté d’aller et venir au XIXe siècle interroge aussi l’historien, au regard de la répression du vagabondage et de la mendicité, comme héritage lointain de l’obligation de travailler imposée sous Toussaint-Louverture. Dans le prolongement de cette problématique, la manière de penser et de garantir la liberté d’association des travailleurs et le droit de négociation collective à travers les rapports de force locaux pourrait susciter des pistes de réflexion novatrices.
Plus généralement, le contexte politique, social et juridique haïtien soulève de nombreuses questions qui écrasent le temps : les droits et libertés, ainsi que leur garantie, sont-ils véritablement définis comme dans la tradition occidentale (individualiste) ou portent-ils l’empreinte d’une culture (plus communautaire) forgée dans la période postcoloniale et postesclavagiste ? Les droits subjectifs sont-ils invocables exclusivement à travers les codes ou également par le biais des coutumes ? Le Code civil de 1825 a-t-il globalement fait progresser les droits et libertés, notamment la garantie du droit de propriété sur les terres ? Quelles sont les sources du droit de propriété et les moyens permettant aux autorités de garantir ce droit ? L’interprétation de ces droits est-elle la même selon les groupes d’appartenance des individus (qu’en est-il par exemple chez les vaudouisants) ?
Le rapport lointain de la population à la res publica et l’esprit quasi-féodal des premières constitutions et des premiers dirigeants haïtiens expliquent en grande partie la difficulté de penser le contrat social et d’identifier une véritable société civile, notamment la notion de service public. L’État de droit n’est pas un concept évident dans la culture juridique locale, surtout dans la période antérieure à la Constitution de 1987. Au demeurant, la souveraineté effective de l’État haïtien est loin d’être continue et effective depuis l’indépendance, la garantie des droits fondamentaux étant tributaire non seulement du rôle de l’ONU, mais de l’influence des ONG et des États-Unis.
Membres du comité scientifique :
Alexandre Deroche, Professeur d’histoire du droit à l’Université de Tours
Éric Gasparini, Professeur d’histoire du droit à l’Université d’Aix-Marseille Éric de Mari, Professeur d’histoire du droit à l’Université de Montpellier
Martial Mathieu, Professeur d’histoire du droit à l’Université Grenoble Alpes Frédéric Charlin, Maître de conférences en histoire du droit à l’UGA
Yves Lassard, Maître de conférences en histoire du droit à l’UGA
Patricia Mathieu, Maître de conférences en histoire du droit à l’UGA
Jean-François Niort, Maître de conférences en histoire du droit à l’Université des Antilles
Les propositions de communication, qui se limiteront à 5000 signes, sont à envoyer avant le 30 juin 2020 à l’une des adresses suivantes :
yves.lassard chez univ-grenoble-alpes.fr
frederic.charlin chez univ-grenoble-alpes.fr
Colloque
Du 14 au 16 avril 2021 (Université Grenoble Alpes)
Page créée le mardi 10 mars 2020, par Dominique Taurisson-Mouret.