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Appel
Date limite de soumission : mardi 20 août 2024
Depuis le début du XXIe siècle, les peuples autochtones, paysans, afro-descendants et/ou quilombolas (marrons) de l’Amérique Latine et des Caraïbes ont été témoins et acteurs de processus sociopolitiques et juridiques particuliers. Dans certains cas, comme celui de l’Équateur, de la Bolivie, du Venezuela ou du Pérou, les transformations juridiques ont impliqué une avancée dans la reconnaissance de la diversité ethnique et culturelle, des droits territoriaux et des « Droits de la Nature ». Néanmoins, la mise en place de politiques favorables à l’expansion du modèle de développement extractiviste1 a entraîné un recul en termes de reconnaissance des droits susmentionnés, ce qui a exacerbé certains conflits socio-environnementaux de la région (Brand et al., 2016 ; Bebbington et al., 2019). Ce modèle, a eu pour effet d’interrompre les chaînes locales de production et subsistance, participant tout à la fois à l’affaiblissement des conditions de vie au niveau local, à l’augmentation des inégalités sociales et à la dégradation environnementale (Tsing, 2005, Segato, 2010 ; Ulloa, 2021).
Par ailleurs, plusieurs chercheur.es ont souligné les impacts particuliers des activités extractives sur la vie des femmes habitantes des territoires en question (Shiva et Mies, 1993 ; Falquet, 2017 ; De Theije, 2017 ; Hillenkamp et Prevost, 2024). Ces travaux ont montré que les activités extractivistes sont majoritairement liées à une masculinisation du travail salarié, et renforce par ailleurs la féminisation des espaces domestiques et de subsistance, ainsi que les inégalités d’accès aux ressources (terre, eau, etc). Pour autant, la participation politique de ces femmes, leurs projets et leurs mobilisations pour défendre leurs territoires restent encore peu explorés, reconnus et soutenus, parfois à l’intérieur même de leurs organisations (Jenkins, 2014 ; Yasacama, 2022). Pourtant, elles occupent une place centrale dans la lutte contre les formes d’exploitation néolibérale des ressources naturelles car les inégalités de classe, de race et de genre, intensifiées dans le cadre du modèle extractiviste, exposent plus fortement les femmes afro-amérindiennes et autochtones aux dommages socio-environnementaux sur leurs territoires et leurs corps. Leurs revendications de justice sociale et environnementale ont même atteint des sphères nationales et internationales où elles ont dénoncé les abus commis dans le cadre des activités extractivistes qui affectent les domaines individuel et collectif de la vie communautaire (Hernández et Cucurí, 2022). Elles considèrent ceux-ci comme le prolongement du colonialisme, du capitalisme et du patriarcat. La « Marcha das mulheres indígenas » qui rassemble tous les deux ans des centaines de femmes autochtones à Brasilia, la présence des femmes autochtones équatoriennes dans les tribunaux nationaux et internationaux, ou encore la « Marcha das Margaridas » une manifestation collective organisée par les femmes paysannes du Brésil, sont autant d’exemples de ces expressions de luttes féminines (Prevost, 2019).
Ce Colloque a pour objet d’aborder les relations entre genre, race, ethnicité, politiques et territoires dans le but de réfléchir aux divers processus d’organisation des femmes dans le contexte des conflits socio-environnementaux en Amérique Latine et dans les Caraïbes. Partant d’une analyse des processus hétérogènes de luttes et résistances dans ces territoires, il réfléchira et analysera également des exemples similaires dans d’autres régions géographiques des Suds. Si certains auteur·ice·s ont souligné le lien entre ces conflits et le tournant éco-territorial (Svampa, 2013), ce colloque se propose d’interroger ces mouvements de lutte à travers le prisme du genre. En effet, dans ces régions, différents groupes, collectifs et mouvements sociaux débattent actuellement autour de l’intersectionnalité (Crenshaw, 1989 ; Falquet, 2017), entre luttes anti-racistes, anti-patriarcales et anti-extractivistes et inventent sur cette base de nouvelles formes de résistance et de coexistence dans leurs territoires. Ce qui est en jeu, ce sont des manières différentes de « sentir-penser » les territoires (Escobar, 2016 ; Fals Borda, 2015), d’être en relation avec eux. Cette relation dépasse les possibilités de l’opposition moderne-occidentale entre l’humain et la nature, sans pour autant les exclure. Elle révèle ainsi des conceptions distinctes de la vie où des mondes hétérogènes caractérisés par des ontologies non dualistes, sont contraints de fonctionner avec cette distinction, en même temps qu’ils la « dépassent » (De la Cadena, 2015). Ces épistémologies “submergées” (Gomez-Barris, 2021) invitent à complexifier le regard porté aux formes de penser et d’habiter la terre des groupes subalternisés.
Dans ce Colloque, nous chercherons à mettre en lumière certaines composantes de ces ontologies et pratiques, et poursuivre les débats autour de notions telles que les territoires et territorialités (Godoi, 2014), les territoires-corps (Cabnal et Falquet, 2015 ; Falquet, 2017) les communautés écologiques et inter-espèces (Haraway, 2008 ; Tsing, 2015), les différentes formes de soins (Larrère, 2012, Chao, 2022 ; van Dooren 2022) et les relations qui se tissent entre elles. La réflexion comprendra une analyse de l’historicité, de l’impact de la colonisation et de la colonialité sur les corps et les expériences vécues par les femmes autochtones, paysannes et afro-descendantes, en mettant l’accent sur la relation de ces femmes aux territoires. Il s’agit également d’analyser les principaux mouvements et formes de luttes qui ont émergé face aux conflits asymétriques imposés par des modèles inégaux de mondialisation (La Cadena 2015 ; Chao 2023). Quelles politiques sont formulées par ces mouvements de lutte pour défier ces modèles ? Comment constituer des territoires - corps de différence dans des mondes plurivers ? Quelles sont les formes alternatives à l’extractivisme qui sont réinventées dans ces différents territoires ?
Enfin, nous entendons créer un espace de réflexion interdisciplinaire et d’échanges à travers le dialogue entre le monde académique, le monde militant, associatif et artistique dans le but de coproduire des connaissances et d’établir des collaborations qui contribuent aux différentes luttes pour la justice sociale, raciale et environnementale. Dans cette perspective, bien que ce Colloque aura pour lieu d’énonciation l’Amérique Latine et les Caraïbes, un atelier sera proposé pour ouvrir la réflexion à d’autres géographies des Suds où de nombreuses alternatives ont émergées pour répondre aux aspirations d’avenirs post-extractivistes, anti-patriarcales et anti-colonialistes imaginés.
Axe 1 : « revoir l’histoire »
Cet axe de recherche examinera les multiples significations attachées par les femmes aux corps et aux territoires et interrogera dans quelle mesure leurs organisations et leurs revendications permettent un questionnement des conditions coloniales, historiques et structurelles dans lesquelles l’extractivisme se reproduit, tout en accomplissant le rôle de (re) construire la mémoire historique de leurs peuples.
Axe 2 : « éprouver »
Cet axe invite à analyser la multiplicité des formes d’extractivismes et ses impacts différenciés sur les corps et territoires (territoire-terre, territoire-corps) des femmes. Les propositions peuvent inclure une analyse des conséquences de l’agro-extractivisme, l’extractivisme minier, l’extractivisme lié à l’extraction de plantes médicinales et ses connaissances vernaculaires, ou encore l’industrie touristique.
Axe 3 : « soigner/réparer et réinventer »
Cet axe portera sur des propositions concrètes d’alternatives à l’extractivisme, des utopies féministes, des différentes manières de faire monde, soigner et réinventer les rapports au territoire. Il s’intéresse aux formes “des résistances et de résurgences multi-espèces” (Chao 2022) dans les paysages impactés par l’extraction et l’extinction. Les alternatives à l’extractivisme peuvent être des actions locales basées sur la solidarité, le “Buen vivir”, la revitalisation de formes économiques autochtones, des projets collectifs basés sur des pratiques agroécologiques, de gestion partagée de ressources naturelles ou la composition de territoires-corps de refuge plus qu’humains (Tsing 2005, Haraway, 2008, Chao, 2022).
1. L’extractivisme fait référence à un modèle de développement qui prend de l’ampleur dans le Sud Global. Ce modèle implique d’exploitation des ressources naturelles brutes, à grande échelle, et principalement dédiées à l’exportation. Cela comprend l’exploitation minière, le forage pétrolier, la production agro-industrielle, la construction de barrages (hydroélectriques). De nombreuses études ont mis en avant les effets destructeurs des projets extractivistes sur les écosystèmes et moyens de subsistance locaux, et leur lien avec les conflits socio-environnementaux. (Gudynas, 2009 ; Svampa 2019 ; Allain et Maillet, 2021 ; Chao, 2022)
Modalités de soumission
Les personnes intéressées, universitaires, ou du monde militant, associatif ou artistique, sont invitées à mettre en discussion leurs travaux et expériences qui traversent ces problématiques.
Un résumé de 500 mots et une courte biographie sont attendus et devront être envoyés à colloquegenreterritoires2024 chez gmail.com avant le 20 août 2024
Les propositions peuvent être envoyées en français, espagnol ou portuguais. L’évaluation des propositions sera donnée début septembre.
Le comité d’organisation cherchera à valoriser ce colloque par la publication d’un dossier thématique dans une revue. Pour celles et ceux qui souhaiteraient participer, les textes de vos présentations doivent être envoyés avant le 15 octobre.
Le colloque se déroulera les 22 et 23 Octobre 2024 au Campus Condorcet, à Paris.
Nous privilégions le présentiel mais exceptionnellement, pour les personnes habitant outre-atlantique en particulier, les communications pourront se faire en ligne.
Comité d’organisation
Sofia Cevallos Vivar (Ladyss - Université Paris 8 et FLACSO-Brésil)
Renata Freitas-Machado (Centre des Politiques de la Terre et Cité du Genre - UP Cité) Mélanie Antin (Ladyss - UP Cité)
Comité scientifique
Juliana Dos Santos Tupinambá (Université Sorbonne Nouvelle, Université de Brasilia). Laure Emperaire (PALOC - IRD)
Jules Falquet (LLCP - EA4008 - Université Paris 8)
Hélène Guétat-Bernard ( UMR Environnement, ville, société, CNRS) Isabelle Hillenkamp (Cessma - IRD)
Joëlle Le Marec (PALOC - MNHN)
Héloïse Prevost (LISST-Dynamiques rurales à l’université de Toulouse Jean-Jaurès)
Colloque
22-23 octobre 2024 (Campus Condorcet, Paris)
Page créée le mercredi 31 juillet 2024, par Webmestre.