Accueil ▷ Actualités ▷ Actualités
Appel
Date limite de soumission : jeudi 15 mai 2025
Appel à contributions coordonné par :
Simon Fagour, Doctorant en histoire contemporaine (université Sorbonne Nouvelle, Creda UMR 7227). Attaché temporaire d’enseignement et recherche (USN, IHEAL) simon.fagour chez sorbonne-nouvelle.fr
Justine Berthod, Doctorante en sociologie (université Sorbonne Nouvelle, Creda UMR 7227). Attachée temporaire d’enseignement et recherche (USN, IHEAL) justine.berthod chez sorbonne-nouvelle.fr
Laurine Chapon, Doctorante en géographie (université Sorbonne Nouvelle, Creda UMR 7227). Attachée temporaire d’enseignement et recherche (USN, IHEAL) laurine.chapon chez sorbonne-nouvelle.fr
Mathilde Périvier, Doctorante en anthropologie sociale et ethnologie (EHESS, IMAF UMR 8171) mathilde.perivier chez sorbonne-nouvelle.fr
Carrefour « des mondes de l’esclavage » (Ismard et al., 2021), mais aussi des rencontres et des conflits au sein et entre les empires coloniaux européens du xvie au xixe siècle, les Caraïbes insulaires et continentales ont été un foyer important de réflexions anthropologiques tout au long du xxe siècle, en particulier pour penser les univers culturels noirs des Amériques. Une commune expérience historique des traites, des esclavages et parfois des « systèmes plantationnaires » (Curtin, 1998 ; Burnardt & Garrigus, 2016), dans des territoires partageant de proches conditions géographiques, géologiques et climatiques, pourrait être le socle de l’unité de cette zone postulée par certains. À partir de plusieurs terrains d’enquêtes, Herskovits (1941) concluait par exemple à une « continuité » entre l’Afrique et les Amériques, qui expliquerait la permanence de certains traits culturels africains dans des aspects variés de la vie quotidienne des sociétés américaines et à différents degrés. Mintz et Price (1976) postulaient, quant à eux, la créolisation de la culture afro-américaine, soit la production dans les interstices du système esclavagiste d’une nouvelle culture, produit des apports africains, européens et indigènes, et le maintien d’une « grammaire culturelle » ancestrale. À l’inverse, dans le sillon de Frasier, Glissant (1981) parlait, dans ses premiers écrits, de dépossession consécutive à l’expérience esclavagiste et d’une « non-histoire » ne permettant pas l’émergence des conditions de la production du commun dans les territoires caribéens.
Ces débats fondateurs de la recherche afro-américaniste n’ont cessé d’être revisités pour les approfondir, les dépasser ou pour essayer de trouver d’autres voies de compréhension. Chivallon (2004) propose ainsi un modèle interprétatif, pensé depuis les Antilles, faisant de la dispersion et des communautés mues par des micro-récits, le socle commun pour penser « la Caraïbe ». Ces débats autour de l’unité et de la fragmentation de la région, parfois synthétisés par la question de l’emploi du pluriel ou du singulier pour la désigner, sont dernièrement dépassés par la volonté de construire « un paradigme de la modernité à partir de la matrice coloniale », au sein de laquelle les Caraïbes occupent une place de premier ordre (voir le programme international Mondes de la Colonialité et TransModernités, anciennement intitulé « Mondes Caraïbes et transatlantiques en mouvement », porté par Christine Chivallon et Mathieu Renault depuis 2024). Quoi qu’il en soit, l’espace caribéen a été réhabilité – non sans tensions – comme carrefour de l’histoire atlantique (Marzagalli, 2011), pensé comme épicentre de la créolité (Bernabé et al., 1988) ou bien considéré comme point d’émergence d’une « pensée archipélique » (Bertin-Elisabeth & Colin, 2022). La place des Caraïbes dans le déploiement des études postcoloniales est également centrale, comme en témoignent des implications théoriques de la notion d’« Atlantique noir » de Paul Gilroy ou des identités diasporiques de Stuart Hall. En France, des recherches fouillées, parfois à visée comparatiste dans les Caraïbes et au-delà, ont été thématisées autour de notions telles que les esclavages et les traites (Cottias, 1999 ; Cottias et al., 2011 ; Vidal, 2019 ; Flory, 2015 ; Ismard et al., 2021 ; Balguy, 2020), la diaspora et les migrations (Chivallon, 2004 ; Laëthier, 2011), la race (Bonniol, 1992, 2020), la patrimonialisation et la transnationalisation du religieux (Argyriadis & Capone, 2011), la construction de catégories ethnoraciales (Cunin, 2006), l’État outre-mer (Beauvallet et al., 2016) ou postcolonial (Mary, 2021), l’écologie décoloniale (Ferdinand, 2019), etc.
C’est dans le prolongement de ces questionnements que se situe cet appel à contributions, qui invite à mener une réflexion collective et multisituée sur ce que les travaux empiriques menés sur et depuis les Caraïbes insulaires et continentales peuvent apporter aux champs des sciences humaines et sociales francophones, anglophones, hispanophones, lusophones et/ou aux études latino-américanistes. Cette publication permettra tout d’abord d’identifier les espaces de production des savoirs sur la région afin de mettre en discussion les travaux qui y sont produits. Des associations et départements d’études caribéennes anglophones qui structurent un champ dynamique outre-Atlantique (Caribbean Studies Association, États-Unis ; Center for Caribbean Studies, université de Toronto, Canada ; Center for Caribbean and Diaspora Studies Members, université de Londres, Royaume-Uni) aux centres de recherches nationaux de la Caraïbe hispanophone insulaire (Centro de Estudios Caribeños, Pucamaima, République dominicaine ; Cátedra de Estudios del Caribe « Norman Girvan », université de La Havane, Cuba) ; de la Caraïbe anglophone (Institute of Caribbean Studies, West Indies, Jamaïque) à la Caraïbe continentale (Instituto Internacional de Estudios del Caribe, université de Cartagena, Colombie) ; des groupes de recherches francophones (Association francophone d’études caribéennes (AFDEC), Sciences Po Boreaux ; Centre International de Recherche sur les Esclavages et Post-Esclavages (CIRESC), Pouvoir Histoire Esclavage Environnement Atlantique Caraïbes (PHEEAC) à l’université des Antilles) : cette liste non exhaustive témoigne de la vitalité, mais aussi de la dispersion des acteurs et de champs structurés autour d’objets, de notions et de terrains variés.
Cette géographie souligne aussi des contrastes entre espaces qui ont largement investi et construit des champs d’études caribéennes dynamiques, à travers les areas studies aux États-Unis par exemple, et d’autres zones régions où les Caraïbes semblent diluées dans des études thématiques ou régionales (et notamment latino-américaines) plus vastes. C’est cette diversité, ce qu’elle produit et comment elle est produite que le numéro souhaite questionner, dans une perspective réflexive et analytique, pour comprendre comment les Caraïbes sont dites et pensées depuis différents espaces. S’interroger sur la fabrique des sciences sociales sur et dans cette région conduit à interroger les convergences ou les divergences des recherches, la circulation des chercheur·euses, des travaux et des idées.
La dimension pluridisciplinaire et transnationale du dossier vise ainsi à questionner la fabrique de la recherche et ses enjeux, en explorant plusieurs pistes et thématiques qui permettent de démarginaliser les terrains caribéens. L’objectif du numéro est en effet de mettre en avant les démarches existantes qui font des terrains caribéens l’échelle et l’espace social pertinents pour penser et théoriser le monde global. Il invite à parler des objets de recherche saisis depuis les terrains caribéens : il s’agit alors de renverser l’idée que les Caraïbes sont un simple vivier d’études de cas pour nourrir les discussions théoriques produites ailleurs (Collyer, 2018). En effet, depuis les différentes disciplines des sciences humaines et sociales, les Caraïbes ont pu être envisagées comme une région qui participe pleinement de dynamiques globales. Il s’agit ainsi/alors de réfléchir à la manière dont ces concepts circulent dans différents champs d’études caribéennes et comment ils sont (ré)appropriés dans différents espaces. Nous ne présentons ici que deux pistes en exemples parmi d’autres qu’il sera possible d’explorer.
Les Caraïbes constituent le point de départ d’une théorisation de l’« écologie décoloniale » par Malcom Ferdinand (2019). Des articles construits sur des analyses empiriques pourront ainsi mettre en dialogue l’espace caribéen avec les outils de l’écologie politique latino-américaine (Pérez, 2017), dans une approche de justice environnementale ou avec des travaux qui nourrissent ou pourront nourrir des réflexions sur le plantationocène (Haraway, 2016) ou sur les théorisations plus récentes du « négrocène » (Yusoff, 2018).
À l’instar des travaux d’Eduardo Devés Valdés (2006) sur l’histoire des circulations d’idées entre Amérique latine et Afrique à travers la médiation des intellectuels de la Caraïbe anglophone ayant permis de reconnecter un espace pensé comme périphérique aux dynamiques globales de l’histoire intellectuelle du second xxe siècle, des articles portant sur la diffusion des idées ou des pratiques (politiques, militantes, médicales, artistiques ou encore répressives, etc.), depuis et/ou dans l’espace caribéen, du xviiie au xxe siècle, seront aussi bienvenus.
L’objectif n’est donc pas de faire des Caraïbes une exceptionnalité à partir de laquelle penser une épistémologie particulière. Nous nous plaçons ici dans le sillon des écrits de Michel-Rolph Trouillot qui encouragent à penser depuis les petits espaces et non seulement sur eux (Agard-Jones, 2013). Il s’agit de démarginaliser les terrains caribéens, depuis lesquels il est souvent difficile de porter des lectures qui dépassent l’échelle de la région elle-même et de donner à voir les chantiers en cours. Les recherches en sciences sociales mobilisant des questionnements et/ou des approches méthodologiques qui participent à désingulariser les Caraïbes, en invitant à penser au-delà des spécificités sociohistoriques régionales, seront attendues.
Réception des articles https://ojs.openedition.org/index.p...
Page créée le mercredi 20 novembre 2024, par Webmestre.