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Les sources :Dans le recueil "Penant", périodique de droit colonial, les nominations des magistrats sont régulièrement mentionnées. Ainsi en les relevant systématiquement sur une période donnée, on peut aisément suivre la carrière du magistrat. Les fiches qui suivent donnent une idée du caractère atypique de ces pionniers de la justice, mais soulèvent également des interrogations car une telle rotation sur les différents postes ne favorise guère une construction solide et durable.
Nous proposons une série de fiches retraçant ces carrières. Nous avons choisi de les présenter en fonction du nombre de mutations géographiques pour montrer comment un même magistrat pouvait changer fréquemment d'affectation et de ce fait passer une bonne partie de sa carrière en transport et déménagement.
Les données pratiques :Les magistrats d'outre-mer étaient peu nombreux pour un territoire immense. De plus, les besoins étaient très différents suivant qu'il s'agissait "d'anciennes colonies" ou de territoire en voie de conquête. Dans le premier cas, l'organisation judiciaire était déjà établie, dans les territoires nouvellement annexés, en revanche, la justice était dès l'abord affaire de militaires et d'adminsitrateurs et, petit à petit, s'installaient de véritables institutions judiciaires et des magistrats professionnels étaient nommés.
Le magistrat, nous allons le voir changeait fréquemment d'affectation. A la fin du XIXème siècle et au début du XXème, le magistrat d'Outre-mer devait effectuer toute sa carrière dans les colonies. Son statut lui permettait de prendre des périodes de congé importantes en raison des difficultés matérielles liées aux lieu d'exercice de ses fonctions. Ainsi si l'on ajoute les voyages de la colonie à la métropole aux voyages effectués pour rejoindre une nouvelle affectation, on imagine que ces magistrats passaient une bonne partie de leur carrière à déménager. Ces conditions précaires expliquaient également un absentéisme grave, mal endémique de la magistrature coloniale.
A la fin du XIXème siècle, par exemple, aller en Nouvelle-Calédonie, distante de 18500 km de la métropole, était une véritable expédition : il fallait 137 jours de bateau. Ce n'est qu'en 1930 que débuteront les liaisons aériennes. A cela il faut ajouter que le magistrat qui atteignait la colonie n'était pas au bout de ses peines, il devait, parfois, rejoindre son poste en brousse avec les moyens les plus rudimentaires, soit par pirogue ou encore avec des mules ou des chameaux.
On imaginera donc, pour un magistrat qui a été muté dans une dizaine de territoires différents le nombre de jours qu'il a pu passer en voyage.
Les carrièresLes affectations multiples
Majoritairement, sur le début de la période écoulée, les magistrats changent régulièrement d'affectation : tous les 2 ou 3 ans au début, puis ils se stabilisent en fin de carrière, mais il n'est pas rare que dans leur progession, ils occupent un poste 6 mois seulement avant de repartir dans une autre colonie. Seuls quelques magistrats, parmi les cas étudiés, ont exercé la totalité de leur carrière dans un seul groupe de colonies et il s'agit alors de l'Indochine. Ceux qui ont exercé leur profession dans seulement deux ou trois possessions françaises ont quand même fait des détours. Tel magistrat qui a débuté sa carrière en Indochine, a fait un séjour d'un an à Madagascar comme procureur, pour finir sa carrière à la Cour d'appel d'Indochine, tel autre est resté 24 ans en Inde, a occupé les fonctions de conseiller à la cour d'appel de Guadeloupe pendant 1 an, pour finir sa carrière en Indochine. Enfin beaucoup d'entre eux ont silloné le monde d'une affectation à l'autre.
Y-a-t-il un lien entre le nombre de mutations et la progression de la carrière ? Il semblerait que les magistrats qui ont accepté de "bouger" souvent ont atteint plus rapidement les postes les plus importants de la hérarchie coloniale. Il est vrai qu'à chaque mutation correspond un avancement.
La plupart des magistrats objet de cette étude ont eu une carrière exclusivement coloniale. Il faut remarquer toutefois que certains d'entre eux ont d'abord exercé en métropole : l'un a exercé deux ans comme substitut à Saint-Quentin pour entrer ensuite dans une carrière coloniale et l'autre a occupé les fonctions de substitut et de procureur pendant douze ans avant de devenir président de la Cour d'appel d'Hanoï.
Les déroulements de carrière sont assez variés et les magistrats n'hésitent pas à traverser la planète pour changer de grade. Une bonne moitié d'entre eux finit en poste en Indochine, c'est à remarquer. Enfin, il importe de relever ce qui peut apparaître comme une curiosité : certains de ces magistrats, après avoir occupé les plus hautes fonctions, ont pour ultime poste, celui de président du tribunal militaire permanent de leur colonie.
Les changements de postesSi les changements d'affectation sont fréquents, les changements de poste le sont encore plus à l'intérieur de la colonie même, surtout en début de carrière, les magistrats peuvent rester seulement 6 mois sur chacun d'eux et pas forcément dans le même lieu. Ce n'est qu'en fin de carrière que les postes occupés le sont pendant 6 ou 7 ans. Cela reflète bien les difficultés rencontrées par l'organisation judiciaire dans les colonies.
Les fiches de carrière sont classées suivant le nombre de mutations constatées, sans prendre en considération le nombre de postes occupés dans la carrière (qui est ensuite décrit dans chacune des fiches). Elles ont été construites à partir des dates de nomination, elles ne tiennent donc pas compte des absences et des vacances des magistrats. Ces profils de carrière visent essentiellement à montrer la mobilité des magistrats coloniaux.
Recherche subventionnée par le GIP :"Mission de recherche
Droit et Justice"
Responsable : Bernard Durand, directeur de l'UMR 5815 "Dynamiques du Droit" Enquête réalisée par Philippe Duval, doctorant. Conception multimédia : Martine Fabre, ingénieur de recherche CNRS et Philippe Hugot, TRF. |